Il est des disques qui ont le pouvoir - rare - de changer une vie. Ashes Against The Grain est de ceux-ci. D'une certaine manière, cette chronique pourrait s'arrêter là, ces quelques mots suffisant à résumer la valeur de son sujet. Mais, comme il faut tout de même en dire davantage, nous allons donc poursuivre. Et dieu, qu'il y en a des choses à dire sur cet album dont le terme chef-d'œuvre que l'on serait tenté de lui accoler, n'est, pour une fois, pas galvauder ni exagéré.
Nous pourrions évoquer son intriguante pochette où ne figure ni nom ni titre à même de nous éclairer quant à un contenu que l'on devine forcément précieux. Nous pourrions évoquer cette lente élévation atmosphérique où culminent les atours Post-Rock des Américains ouvrant les dix minutes que durent "Limbs", gemme terreux pour moitié instrumental, d'une beauté aussi immense que douloureuse dont les sombres ramifications permettent au groupe de renouer avec ses racines Dark.
Nous pourrions citer le triptyque "Our Fortress Is Burning", gigantesque ensemble qui reste à ce jour ce que ses auteurs ont fait de mieux, de plus pur surtout, de sa première partie en forme de montée en puissance déchirante à "Bloodbirds", vibrant au son stratosphérique libéré par la guitare de Don Anderson, certainement un des musiciens les plus doués de sa génération, en passant par le quasi Ambient et inquiétant "The Grain", chacun des trois maillons s'enchaînant l'un à l'autre pour aboutir à un retable d'une flamboyance crépusculaire.
Nous pourrions aussi... Mais non. Inutile de poursuivre cette litanie qui a toutefois le mérite de souligner l'extrême richesse de cette troisième offrande d'un Agalloch au somment de son art. Quatre ans après The Mantle, dont Ashes Against The Grain reprend la direction artistique moins Black-Metal et plus progressive tout en la propulsant vers un sentier encore vierge, long tunnel parsemé de diverses créations périphériques mais non moins essentielles (deux EP et un très beau split partagé avec Nest), les Américains paraissent avoir atteint leur maturité, accouchant d'une œuvre d'une dimension aussi mystique que mythologique, véritable ode à la puissance du feu, ravivant un culte séculaire et païen qui perdure à travers les âges.
D'une allure instrumentale particulièrement marquée, grâce aux longues mises en bouche que chacun de ses titres égrène, Ashes Against The Grain se révèle être un disque très sombre, peut-être même le plus noir des Américains, corollaire de cette esthétique extraite du cœur de la terre elle-même, matière crépitant en forme d'un tout indivisible et ténébreux (témoin cette roue solaire apparaissant au détour d'une page du livret), illustrant plus que jamais l'inspiration visionnaire d'Agalloch, lequel gagne ici ses lettres de noblesse et l'accès à un succès grandissant et O combien mérité.
Celui-ci fera-t-il mieux par la suite ? Nonobstant la qualité de The White et surtout celle de Marrow Of The Spirit, il est permis d'en douter. Quintessence d'un art en perpétuelle évolution, Ashes Against The Grain peut à juste titre être considéré comme une des pierres angulaires du Metal contemporain. Rien de moins !