Tout commence avec le monumental "The Great God Pan", aux premières mesures proprement jouissives, qui en l'espace de sept minutes synthétise la signature des Canadiens : une rythmique à la fois imparable et pleine de feeling, une guitare directement alimentée à la source, c'est-à-dire les années 70, un orgue liturgique qui dégueule comme au bon vieux temps et cette voix, celle de la charmante Alia O'Brien, également maîtresse des claviers et d'une flûte virevoltante. Et que dire de son final qui propulse cet opener du feu de dieu vers des sommets que, il faut toutefois l'admettre, les titres suivants ne parviendront pas totalement à gravir. Sept minutes et 28 secondes pour être précis, durée qui justifie à elle seule l'achat de Living With The Ancients.
C'est il y a presque trois ans que l'on découvrait Blood Ceremony grâce à un galop d'essai éponyme déjà énorme qui tentait un croisement étonnant entre le Black Sabbath originel, pour ses riffs et son inspiration occulte, et Jethro Tull pour le recours fréquent à la flûte, le tout enveloppé dans les volutes féminines d'une grande prêtresse. Rise Above et son manager Lee Dorrian (Cathedral) avaient encore eu le nez creux. Affirmer que nous n'en pouvions plus d'attendre son successeur tient donc de l'euphémisme.
A l'écoute de cette seconde offrande à la déesse Heavy-Doom, on mesure combien le groupe a eu raison de ne pas se précipiter, réalisant un grand pas en avant. De l'écriture aux ambiances, des lignes mélodiques aux soli en passant par la prise de son, tout y est plus réussi que sur l'œuvre séminale. Les Canadiens ont peaufiné leur art qui ne souffre plus d'aucune approximation ni maladresse, si tant est que cela fut le cas il y a trois ans. Chaque titre est un comme un tableau à part entière, intelligemment élaboré, quand bien même certains d'entre eux se détachent d'un menu qu'aucune fausse note ne vient jamais entacher, pas même le petit instrumental aux teintes progressivo-folklorique "The Hermit".
Outre "The Great God Pan", son incontestable pierre angulaire, l'album frôle l'orgasme à de nombreuses reprises. Le lent "Oliver Haddo", au socle rythmique assez lourd et dans lequel Sean Kennedy plante sa six-cordes fiévreuse transpirant les seventies par tous les pores, ou le plus ramassé "Coven Tree", sillonné par la flûte gracieuse de la jeune femme dont nous sommes tous tombés amoureux en l'admirant sur scène, notamment à Paris, sans oublier "My Demon Brother" nous replongeant quarante ans en arrière avec son orgue Hammond au son intact, illustrent la qualité de cet opus d'une classe folle.
Et Blood Ceremony de l'achever avec un second chef-d'œuvre de plus de dix minutes au compteur, "Daughter Of The Sun", longue pièce presque progressive baignant dans une atmosphère païenne fantastique digne de "The Wicker Man", film culte de 1973 et dont la montée en puissance instrumentale est une rampe de lancement vers des improvisations live que l'on devine infinies et jubilatoires. Le quatuor y donne tout ce qu'il a comme si demain ne devait pas exister, conclusion dantesque de ce Living With The Ancients dont on se demande comment les Canadiens vont pouvoir lui survivre tant celui-ci place très haut une barre difficile à franchir !