Le fait que cette quatrième ode (la cinquième si l'on suit la numérotation de la discographie dans laquelle elle s'intègre) ne soit justement pas baptisée d'un simple chiffre, à l'instar de ses prédécesseur, n'aura échappé à personne. Ce choix n'est pas anodin. En choisissant de lui donner un nom, Bornylake fait de ces Entraves de l'âme, une rupture sinon un tournant dans l'œuvre de Borgne, autrefois véhicule solitaire du seul petit Suisse, aujourd'hui espace où plusieurs invités se croisent, et pas des moindres puisqu'il s'agit du néanmoins jadis inspiré Malefic (Xasthur) ou de C.Z. de Vinterriket. Cette évolution en matière de ressources humaines est-telle durable ou bien au contraire éphémère ? L'avenir nous le dira.
Toujours est-il que, symbole de cette mutation formelle, Borgne semble cette fois-ci avoir perdu une part de sa personnalité au profit d'un Black Metal certes toujours froid et mécanique, mais raidi par la dépression. Bien entendu, le projet ne s'est jamais distingué par sa gaieté, toutefois, en injectant dans ses veines un fluide plus suicidaire encore, c'est un peu comme si Bornyake avait cherché à couler son identité dans celle du label Sepulchral qui l'accueil depuis IV.
Moins original, Borgne ne s'est également jamais autant rapproché du style emphatique de Darkspace, référence par ailleurs tout à fait respectable. "Tainted Utopia" ou "Dark Mirror" portent ainsi les stigmates robotiques de ses vénérés compatriotes. Plus accessible (?) peut-être, Entraves de l'âme n'en demeure pas moins un très bon cru où le monstre helvétique étale ses tentacules d'une lugubre beauté en un tapi désincarné. Coincé entre deux pistes instrumentales Ambient dont chacune voit la griffe de son auteur - Xasthur pour "Drown In Nothingness" et Vinterriket pour "Moornwanderung" - inscrite dans sa chair, l'épicentre de l'album gronde d'une puissance mortifère et souterraine inouïe. Extrêmement denses, ces plaintes creusent un ravin sans fond, sillonnant une forêt glaciale avec cette démesure organique typique de Borgne.
Malgré ses nombreuses qualités, dont ce sens des ambiances à la fois sinistres et tendues comme une hampe gonflée d'une semence hypnotique, l'offrande reste inférieure à IV car moins personnelle et surprenante tout en demeurant largement au-dessus de la vase noire d'obédience industrielle.