Vrai-faux double album, Alpha Noir marque le retour des Portugais après quasiment quatre ans de silence, seulement interrompus par le live Lusitanian Metal. Si cette longue absence peut sembler surprenante de la part d'un groupe qui nous a toujours habitué à une solide productivité et qui, surtout, a renoué depuis 2006 et l'album Memorial, avec une inspiration que d'aucuns commençaient à lui contester après les peu personnels et quelconques Darkness And Hope (2001) puis The Antidote (2003), plusieurs raisons peuvent néanmoins l'expliquer. D'une part, suite au succès tant commercial qu'artistique de Night Eternal, Moonspell était sans doute désireux de soigner une suite forcément très attendue. D'autre part, les difficultés de son label d'alors, SPV, l'ont incité à chercher une nouvelle écurie, plus stable, jetant au final son dévolu sur Napalm Records, dont le catalogue, inégal, ne cesse de grossir en qualité depuis quelques temps (Candlemass, Huntress...) et ce, pour notre plus grand plaisir.
Il y a beaucoup à dire sur ce dixième opus (en comptant Under Satanae, réenregistrement de titres issus de la lointaine période 1992-1994). Commençons par les sujets qui fâchent. Ils sont peu nombreux et surtout formels mais participent toutefois à une lente érosion, débutée il y a dix ans, de la personnalité pourtant au départ si affirmée, de ses auteurs. Il s'agit tout d'abord du visuel assez peu marquant, encore une fois dû à Seth Siro Anton de Septic Flesh dont les pochettes finissent toutes à la longue par se ressembler. C'est aussi la production assurée par Tue Madsen, laquelle est certes puissante mais bien trop froide et impersonnelle pour un groupe tel que Moonspell dont le charme réside pour beaucoup justement dans sa noirceur chaude et lusitanienne. Enfin, le choix de scinder le programme en deux parties avec d'un côté l'agressivité (Alpha Noir) et de l'autre le plus posé (Omega White), séparation qu'en réalité seule la version limitée permet de constater puisque l'œuvre d'origine se limite en fait à la première partie, se révèle être une fausse bonne idée. Sans son frère jumeau, Alpha Noir renvoie donc l'image d'un groupe plus énervé que jamais. Accompagné d'Omega White qui, de part sa nature et sa qualité en dents de scie ne pouvait l'empêcher d'être qu'autre chose qu'un complément, ce menu souffre quelque peu d'un déséquilibre corolaire de cette dualité.
C'est donc vers sa version originelle que tend notre préférence. Moonspell y est impérial, enchaînant sans baisse de régime les très grands titres. "Axis Mundi" et ses sombres arcanes, "Lickanthrope", héritier direct de "Vampiria" (sur Wolfheart), "Versus" et ses riffs de rouleaux-compresseur et "Alpha Noir" forment un ensemble imparable auquel est difficile de trouver des faiblesses. Fernando Ribeiro se montre particulièrement en voix, rugissant de son chant ténébreux comme jamais. La trame défile très vite et au fil de ces quarante petites minutes, on mesure combien quelques compositions réservées pour Omega White y auraient habilement trouvé leur place.
Abordons maintenant ce second et facultatif segment. Présenté comme le pendant clair d'un Alpha Noir bouillonnant d'obscurité, il affiche cependant toujours des couleurs des plus mélancoliques. Le chant clair domine, comme les rythmes plus feutrés (encore que le très bon "Sacrificial" soit assez agressif). Son début est remarquable, grâce à des perles telles que "Fireseason" et "White Omega". La suite l'est un peu moins, la faute à une influence embarrassante glanée chez Paradise Lost ("New Tears Eve") et à une tentative seulement à demi réussie de capturer à nouveau la beauté du duo masculin/féminin à l'honneur sur "Scorpion Flower" (Night Eternal) où Fernando partageait le micro avec l'ancienne sirène de The Gathering. Au demeurant agréable, "Herodisiac" ne se hisse pas tout à fait au même niveau d'inspiration.
S'il aurait certainement gagné à mixer ces deux directions, Moonspell signe une œuvre maîtrisée, bien que moins aboutie que ses deux aînés de 2006 et 2008. Reste que les fans des Portugais seront convaincus par cette double ration (ou pas), riche d'une poignée d'excellents morceaux.