Cela fait longtemps que l'on sait que la Suisse fourmille d'excellentes formations, que l'on songe à Coroner, Celtic Frost ou Impure Wilhelmina. Ce constat se vérifie nettement avec toute la scène Post-Rock/Doom/Hardcore que Killbody Tuning vient enrichir d'un galop d'essai dont le contenu est aussi foisonnant que son titre est intriguant, coordonnées faisant référence au film "Dernière chasse" dont il est en fait la bande-son. Après avoir collaboré avec une compagnie théâtrale, le groupe se frotte à l'univers cinématographique, invité en 2010 par le réalisateur Julien Humbert-Droz. 47°0'40.00"N/6°42'20.00"E naît donc cette expérience.
Ceci dit, tellement pollué, lessivé par une masse de suiveurs à l'imagination aux abonnés absents, on a tendance à prendre peur lorsqu'un groupe se revendique d'un Post Rock instrumental comme c'est le cas ici. Tout le talent de Killbody Tuning tient justement dans cette faculté à respecter les invariants du style pour mieux s'en affranchir. Preuve en est ce recours aussi judicieux que lumineux à un chant féminin voilant "Muswell Hill" puis "Marker Of Change" d'une mélancolie feutrée et dont on regrette qu'il ne soit au final pas plus présent. Se coulant dans la carapace d'un Rock bicéphale aussi lourd qu'atmosphérique, ce qui aurait pu se limiter à un simple artifice, construit au contraire la colonne vertébrale des deux titres qui l'accueillent avec une infinie justesse.
Les cinq autres compositions, si elles épousent une ligne plus classique ("Bamberg", "Porta Capena"), n'en sont pas moins de vraies perles d'écriture et d'arrangements où explose un art de la progression, de la montée en puissance, du crescendo désenchanté que Killbody Tuning maîtrise avec un certain brio, qu'il s'agisse de l'introductif "Ara Ubiorum" ou de "Seestrasse", que pilotent des guitares belles en pleurer jusqu'à une conclusion orgasmique qui laisse de profonds stigmates dans la mémoire.
Album court d'une puissance sourde, 47°0'40.00"N/6°42'20.00"E existe par lui-même, il a sa vie propre. Malgré une dimension cinématique évidente car matérialisant des images, des visions, pour qui s'abîme dans ses arabesques, il n'est pas nécessaire de connaître le film (que peu ont dû voir de toute façon) pour lequel il a été écrit, pour être appréhendé et à fortiori, apprécié à sa juste valeur. Killbody Tuning se révèle être une découverte, intense et posée à la fois, quand bien même il fut déjà l'auteur d'un EP, The French Hunter en 2008.