Après cinq années d'absence, les Flower Kings n'ont finalement pas beaucoup changé. Le groupe de Roine Stolt s'est reformé autour de son leader, à peu près tel qu'il était auparavant. Tomas Bodin, Jonas Reingold et Hasse Fröberg sont de nouveau de la partie, sans toutefois les contributions (depuis toujours limitées au studio) du percussionniste Hasse Bruniusson et du saxophoniste Ulf Wallander. Le nouveau batteur s'appelle Felix Lehrmann et il est simplement très bon, à la fois fin et puissant lorsqu'il le faut, alternativement sobre et capable de développer un jeu foisonnant et bouillonnant d'une complexité impressionnante !
Ce nouvel album existe en trois versions, simple et double CD, plus une version double LP avec les deux CD en bonus. Si l'édition spéciale, devenue une tradition chez InsideOut Music contient quatre morceaux supplémentaires de durée moyenne, le CD principal ne fait "que" 54 minutes environ… alors que le groupe nous avait habitué à des disques vraiment très longs. Ce n'est pas plus mal car l'ensemble semble plus cohérent que certaines œuvres passées. Le côté expérimental et dissonant du groupe est presque complètement mis de côté au profit de mélodies finement ciselées, à part sur une section un peu typée hard rock bluesy de "Numbers" (dont on se passerait bien, d'ailleurs).
Les influences n'ont quant à elles, pas changées. Toujours ces mêmes éléments de musique symphonique, classique, jazz et blues à la fois, cette alternance de moments joyeux et plus sombres, grandioses et intimistes, souvent au sein du même morceau, avec ici et là une section plus proche du hard rock. Le son n'a pas évolué non plus, mais finalement c'est leur marque de fabrique. On retrouve ces dialogues guitare/claviers, avec les timbres de claviers classiques : orgue Hammond, piano, piano électrique, mellotron, minimoog, orgue d'église, plus quelques autres. Mais c'est quand même dommage de ne pas avoir un peu d'innovation à ce niveau. Les parties instrumentales sont elles aussi très familières, avec toujours ce même mélange de rythmes saccadés, syncopés, qui contrastent avec de superbes moments plus solennels sur des rythmes lents et majestueux, d'où s'élèvent des solos de guitare lyriques, dont Stolt et même Fröberg ne sont pas avares sur cet album ! Tomas Bodin lui aussi développe souvent des solos enjoués et parfois bizarres, avec une certaine retenue (et pourtant Bodin est un vrai virtuose).
Chaque album des Flower Kings possède une certaine teinte dominante, plus ou moins. Celui-ci est un album résolument mélodique, peu agressif, avec de nombreux morceaux en tonalité majeure. Et pourtant, les textes sont souvent assez sombres, ce qui crée un contraste surprenant parfois.
C'est encore une fois la pièce la plus longue qui ouvre l'album. "Numbers" est une de ces longues suites de plus de 25 minutes typique des FK qui mêle grandes envolées symphoniques, moments intimistes, refrains majestueux mais aussi des passages bluesy, légèrement jazzy, voire teintés de hard rock ici et là (on se passerait bien de ces passages d'ailleurs). Le mélange de toutes ces influences finalement assez disparates ne surprendra pas les connaisseurs du groupe mais là où parfois la sauce ne prenait pas toujours, ici, c'est très réussi. L'ouverture instrumentale tout d'abord menée par une guitare électrique lyrique expose différents thèmes développées plus tard et les mélodies chantées sont superbes, avec un refrain très accrocheur qui rappellera à certains "The Flower King" sur l'album solo de Roine Stolt du même nom en 1994. Stolt et Fröberg se partagent les vocaux sur ce morceau et offrent également quelques beaux duos en chœur. On se croirait revenu dans les années 70 ! La production est excellente, chaque instrument est clairement audible. Jonas Reingold nous gratifie même d'une jolie mélodie à la basse fretless à un moment. Bref, c'est un bon cru.
"For The Love Of Gold" est plus léger, un morceau joyeux et sautillant avec une superbe performance de la section rythmique, des solos de guitare très dynamiques, des chœurs à la Yes, et d'inévitables parties d'orgue Hammond et de minimoog - soutenus par un orgue majestueux par instants et même des cloches !
"Pandemonium" est plus contrasté, largement basé sur des rythmes syncopés et sautillants, avec une longue intro instrumentale rappelant un peu Yes qui débouche sur une première partie chantée où la voix est distordue de manière à sonner très grave (on pense à Zappa). Le morceau manque un peu de refrain fort.
"For Those About To Drown" commence comme le premier titre par un passage lent et symphonique avec une guitare lyrique dont le son est typique de Stolt, à la fois aigu (un peu à la façon de Steve Howe) et profond, le rythme devient moyen et martelé, avec un côté Beatles plus ou moins marqué, laissant place au milieu à une belle partie instrumentale plus enlevée. Stolt et Fröberg font même des dialogues à deux guitares et le final majestueux est encore une occasion de pour Roine de partir dans un solo déchirant !
C'est Jonas Reingold, qui signe la musique du dernier morceau, "Rising The Imperial". Que dire, sinon que depuis les deux derniers Karmakanic, le bassiste semble être devenu un habitué des morceaux émouvants, avec des influences de Pink Floyd ou carrément classiques… Ce titre lent et majestueux bâti en crescendo sur un lit de piano électrique, de mellotron puis d'orgue d'église, avec de superbes solos de guitares lyriques, est l'un des plus beaux jamais enregistré par les Flower Kings, principalement chanté par Fröberg – qui s'écorche un peu trop la voix sur la fin d'ailleurs –, la conclusion en beauté d'un album rempli de passion et de fraicheur.
Le CD bonus de l'édition spéciale contient une vidéo avec des interviews en studio, et quatre autres morceaux de durée moyenne. "Illuminati" est un instrumental somptueux, aux influences ouvertement classiques, illuminé par des solos de guitare particulièrement puissants, un morceau rappelant vaguement "Whiter Shade Of Pale" et "Repent Walpurgis" de Procol Harum (pour l'influence de Bach) et qu'on aurait bien vu au milieu du premier CD, à la place de "Pandemonium", par exemple. Les trois suivants sont chantés, assez accrocheurs, sauf peut-être le dernier, assez quelconque et dissonant vers la fin. "Going Up" signé Reingold est léger et entrainant, rappelant quelque peu Yes, tandis que "Fireghosts" est également très accrocheur mais plus complexe. Ces morceaux s'intègrent donc très bien dans l'ensemble, contribuant à faire de "Banks Of Eden" un très bon cru des Flower Kings, à défaut d'apporter une quelconque évolution.