Riffs plombés sur lesquels semble reposer tout le désespoir de l’humanité, quelques nappes de claviers sinistres comme échappées d’un antique Mellotron des seventies, puis ce chant. Ce chant ! Lyrique, puissant, grave, il vous file des frissons dès les premières notes. Tel est l’introductif "Black Room". Tel est le doom, le vrai, le pur, pas le funéraire qui se répand à travers d’interminables plongées en apnée dans les abîmes de la désolation et de la solitude suicidaire.
Non, là, on parle du doom façon Black Sabbath, davantage d’ailleurs que celui initié par Candlemass, groupe dont on est bien forcé de parler lorsque vient le moment de présenter Krux, les deux étant menés par le même musicien, le bassiste Leif Edling. Sa basse, capable à elle seule à faire fuir le soleil et toute forme de lumière, est reconnaissable entre mille. Sa façon de composer, aussi. Mais pour autant donc, Krux ne ressemble pas à Candlemass, du moins pas celui que la majorité connaît, pas celui du moine Marcolin donc.
En revanche, quand bien même le bassiste s’en défend, le méconnu et pourtant immense From The 13th Sun et ses teintes seventies, presque psychédéliques par moment, se profilent à l’horizon de ce premier album de ce nouveau projet, sorte de super-groupe à la suédoise, comprenant en outre, Peter Stjärnvind derrière les fûts, Jörgen Sandström aux guitares, tous les deux (alors) actifs chez Entombed, et Mats Leven (ex Yngwie Malmsteen) au chant, vieil ami de Leif qui l’avait fait débuter dans son mystérieux Abstrakt Alegbra au milieu des années 90. Et là, la filiation est cette fois évidente. Sans doute que le timbre heavy et haut perché sans souffrir du syndrome "je me suis coincé les couilles avec ma braguette" est pour beaucoup dans cette parenté, tant celui-ci s’avère identifiable.
Mais il y aussi ces atmosphères froides, ces ambiances lugubres ("Sibiria", "Evel Rifaz"), cette gravité granitique commune, dispensées avec largesse par les terrassants "Krux", "Omfalos" et surtout, l’épique et hanté "Lunochod", dont les paroles narrent la conquête spatiale entreprise par l’Union Soviétique, enjeu périphérique mais majeur de la Guerre Froide, voyage passionnant de plus de douze minutes aux relents progressif, égrenés par un claviers aux forts accents ‘crimsoniens’, et pourvu d’un final de six-cordes orgasmique. Néanmoins, loin des images d’Epinal, le groupe demeure plus heavy que lancinant : il sait faire parler la poudre et décocher des titres blindés aux mélodies imparables. Citons "Black Room", bien entendu, mais aussi "Nimis", "Enigma EZB" et "Popocatépetl".
Un grand, un très grand album de doom, qui méritait davantage de promotion et de reconnaissance, qu’il n’en a eu lors de sa sortie pour le moins discrète. Le fait que Candlemass connaisse aujourd’hui un retour en grâce et que Leven ait participé à Therion n’a malheureusement rien changé à une popularité inversement proportionnelle au talent d’un groupe plus que jamais voué à porter sur le coin de la gueule, l’étiquette "culte". Il y a pire fardeau.