Beaucoup ont découvert Isole avec l’album Bliss Of Solitude qui a pu, il est vrai, s’appuyer sur la promotion déployée par le label Napalm, ce qui n’était pas le cas de ses aînés publiés sous la bannière I Hate Records. En effet, les Suédois ne sont pas nés de la dernière pluie acide. Ils avaient déjà offert deux autres opuscules avant celui-ci (Forevermore et Throne Of Void), sans compter une ribambelle de démos – six en tout – sous la première incarnation du groupe, alors baptisé Forlorn entre 1991 et 2004. Ce petit rappel biographique est important pour bien comprendre que l’on n’a pas affaire à des gamins qui viennent de découvrir le doom. Cet art de la douleur, ils le vivent, le ressentent depuis longtemps, ce qui leur permet de l’exprimer avec passion et sincérité, et avec une touche personnelle qui est pour beaucoup dans l’amour que l’on porte à leurs précieuses offrandes.
Fort d’une inspiration qui ne semble pas prête de se tarir, Isole délivre avec Silent Ruins un nouveau joyau, écrin majestueux au fil rouge (l’histoire d’un homme qui se réveille dans un monde qui n’existe plus, en ruines et qui part en quête de ses souvenirs) qui sert de substrat sur lequel reposent sept complaintes minées par une tristesse absolue. Sans vraiment être un concept-album, ce qui est présenté comme la première partie d’un tout, suit pourtant une trame qui ne doit rien au hasard. "Redemption Part I", c’est son sous-titre, s’arc-boute ainsi sur une architecture précise et réfléchie.
Le chemin de croix débute et prend fin sur deux longues plages de plus de 10 minutes chacune, sentinelles qui encadrent le cœur de l’album. Après une longue intro qui pose le décor comme dans une tragédie, l’imposant "From The Dark" s’envole ensuite, avec pour guide ce chant solennel, presque sentencieux, toujours souligné par des guitares qui tricotent une toile dont chaque fil est une note de désespoir. Riche d’arrangements qui participent de la gravité de l’ensemble, cette plainte emporte d’entrée de jeu le pèlerin dans un torrent émotionnel.
A partir du lancinant "Soulscarred", traversé d’éclairs acoustiques d’une touchante sobriété, Silent Ruins s’enfonce peu à peu dans un abîme sans issue, témoin d’une inexorabilité à laquelle on ne peut échapper. Squelettique, "Peccatum" résonne comme une halte mortifère, prélude à l’ultime fragment ("Dark Clouds") dont les guitares ont quelque chose de balises funestes ouvrant sur une conclusion enténébrée par une noirceur désespérée. Le chant se frotte à la mort, le tempo ralentit au rythme d’une batterie dont chaque coup est comme un battement de cœur avant la fin définitive tandis que la musique meurent en un long fondu absolument sublime.
Souvent comparés à Candlemass, raccourci un peu facile et pas toujours justifié, les Suédois sont pourtant les seuls à forger ce doom à la fois limpide, fluide, enrobé dans une production cristalline (dont ils sont responsables) et néanmoins noir et poignant, comme l’illustrent les très beaux "Forlorn" et "Nightall" qui ont ce sens du riff qui accroche et de la mélodie vocale habitée. Il y a une telle douleur, mêlée à un sentiment de résignation, dans le chant de Daniel Bryntse, architecte principal d’un édifice dont chaque partie s’avère parfaitement élaborée, équilibrée. Car, n’en déplaise à certains, le doom est une science exigeante. Le magistral "Hollow Shrine" est à ce titre une leçon, symptomatique aussi de la manière dont le groupe exprime son art.
Sans prétendre que Silent Ruins se pose comme la pierre angulaire des Suédois (ses prédécesseurs se révèlent tout aussi réussis), il est en revanche certain que cette œuvre devrait les imposer durablement parmi les prêtres les plus inspirés de la chapelle dans laquelle ils officient.