Hatfield And The North fait partie de la légende du rock progressif. Groupe éphémère s'il en fut (1972 – 1975), auteur de deux albums seulement, mais révéré unanimement par la critique pour sa créativité, son originalité et sa musique intemporelle. Groupe mythique, nimbé du mystère que l'ombre portée par ses grands frères lui confère, réservé à la connaissance de quelques privilégiés fouineurs et audacieux.
Et pourtant, les membres d'Hatfield And The North ne sont pas des inconnus. De nos jours, on le qualifierait même de "supergroupe", chaque musicien s'étant aguerri au sein de formations confirmées. Ainsi, Pip Pyle officiait au cœur de Gong, Phil Miller a fait ses armes avec Matching Mole (le groupe de Robert Wyatt, transfuge de Soft Machine et qui fait une courte apparition sur 'Calyx'), Dave Stewart appartenait à Egg, et faut-il encore présenter Richard Sinclair, bassiste/chanteur de Caravan ? Faisant partie intégrante du groupe, il serait injuste d'oublier les Northettes, trois adorables choristes dont les prestations contribuent au style si particulier d'Hatfield And The North. En fait, tous les membres du groupe gravitent autour de la sphère de l'école de Canterbury recouvrant un vaste ensemble de musiciens dont les affinités musicales se rejoignent et les invitent à fonder une grande famille. Même les quelques invités font eux aussi partie de cette communauté : Cyrille Ayers (Matching Mole), Geoff Leigh (Henry Cow) et Didier Malherbe (Gong).
Ces goûts musicaux communs, et le climat de fraternité qui règne entre ces musiciens expliquent certainement l'aspect fusionnel et optimiste de la musique d'Hatfield. Car bien que chaque membre ait composé plusieurs morceaux, l'ensemble garde une extraordinaire homogénéité d'où se dégage avant tout le plaisir de jouer. Si la musique est légère, invitant plus aux rêves béats qu'aux cauchemars, elle n'en est pas moins complexe, faisant l'objet de multiples changements de rythmes, surprenant l'auditeur par son absence de fil conducteur mélodique, mais restant néanmoins toujours accessible et harmonieuse. Tous les titres, parfois très courts, s'enchainent, donnant l'impression d'écouter un seul et unique morceau. Le disque ressemble à une immense jam session très réussie car inventive, en perpétuelle évolution, dynamique et légère. L'esprit peut vagabonder à loisir sur cette musique hétéroclite, creuset de multiples influences, jazz, rock, progressif, expérimental, …
La production et les partitions très différenciées permettent de suivre chaque instrument indépendamment les uns des autres, tous aussi remarquables, virtuoses sans être démonstratifs. Les chants saupoudrés parcimonieusement sur cet album largement instrumental se fondent parfaitement, qu'il s'agisse de la voix de velours de Richard Sinclair, des vocalises haut perchées de Robert Wyatt ou des angéliques et périlleuses harmonies vocales des Northettes, rendant vaguement irréelles les mélodies habilement ciselées.
Témoignage d'une époque révolue, rare expression d'une musique à la fois innovante, complexe, technique et pourtant accessible et joyeuse, "Hatfield And The North" reste l'album atypique d'un groupe atypique. Inclassable et hautement recommandable.