The Call Of The Wretched Sea puis The Divinity Of Oceans ne furent pas seulement deux vertigineuses offrandes de Funeral Doom, parmi les meilleures que le genre nous ait d'ailleurs offert, elles ont illustré la capacité de ses auteurs à travailler, façonner leur art, à briser les archétypes, refusant la stagnation et une redite facile. De fait, on se doutait bien que The Giant constituerait encore une fois une étape supplémentaire vers un aboutissement dont on devine qu'il n'est pas encore atteint.
Pour être honnête avec vous, le visuel à moitié réussi et la typographie très Stoner Rock cette fois-ci employée nous ont tout d'abord fait craindre le pire : manque d'inspiration et erreur de direction artistique. Passée cette vitrine étonnante car rompant avec la charte graphique de mise depuis les débuts du groupe, la musique, elle, nous rassure très vite, autant sur la vigueur d'une muse créatrice qui ne les a pas quitté que sur la faculté des Allemands à toujours évoluer. A un tellurique galop d'essai qui a fixé la plupart des caractères de ce Funeral Doom nautique inspiré de l'univers d'Herman Melville, succédait un deuxième opus qui a entrainé Ahab dans une voix plus posée, plus atmosphérique bien que toujours théâtre de tsunamis caverneux.
The Giant poursuit cette évolution qui, si elle pourra en décevoir certains, surtout les plus dépressifs, n'étonne pas tant que cela, l'album reprenant là où s'est achevé son prédécesseur. Daniel Droste a de plus en plus recours au chant clair, qu'il maîtrise du reste de mieux en mieux, ce qui enrichit considérablement une palette dont les couleurs funéraires tendent à s'effacer peu à peu au profit de teintes plus douces mais toujours sombres. Ce qui ne change pas par contre, ce sont la prise de son monumentale et écrasante comme à l'accoutumée (même si Markus Stock n'est plus derrière la console) et une architecture qui l'est tout autant, basée sur de longs développement de plus de 10 minutes en moyenne au bout desquels pointent un sentiment de fatalité absolu.
Démarrant sur une très longue et surprenante introduction, presque psyché, il faut attendre que "Further South" soit arrivé à mi chemin pour que le chant d'outre-tombe ne surgisse, Droste optant durant la majeure partie du titre pour des lignes plus posées cependant sécrétatoire d'une inexorabilité profonde, idéale narration pour ce texte qui déserte l'oeuvre Melvillienne pour celle d'Edgar Poe puisqu'il s'inspire des "Aventures d'Arthur Gordon Pym". Ce titre est révélateur de la tonalité générale de l'album.
Plus noir dans son expression d'une douleur immense, "Aeons Elapse" est toutefois régulièrement strillé par ce chant clair désormais prédominant tandis que "Deliverance", grondant d'une puissance souterraine, n'explose jamais vraiment, piloté par des guitares belles à en pleurer. Véritable épicentre de l'album, "Antarctica The Polymorphess" crée un envoûtement que ne brisent pas les plongées dans les Fosses Marianne qu'il renferme. C'est comme si deux forces opposées s'affrontaient tout du long de l'écoute, entre noirceur abyssale et tristesse poignante, le tout drapé dans une beauté à laquelle il est bien difficile de ne pas succomber, à l'image de ce final grandiose. Clairement, ce n'est plus sur la force tellurique que repose la musique d'Ahab mais au contraire sur une énergie rentrée, le titre terminal et éponyme le confirmant.
Au déchainement et aux tumultes de l'océan, le groupe préfère désormais le calme trompeur de la mer, approche moins extrême peut-être mais certainement pas moins intéressante. A l'issue de The Giant, la conclusion est identique à celle de son aîné : tout en conservant son identité, Ahab poursuit sa mue, ce polissage de son art qui le rend si unique. Oserons-nous le dire : le groupe ne cesse de gagner en intérêt et n'a jamais proposé une telle puissance émotionnelle.