Qu'importe qu'il ait vu la nuit, plutôt que le jour, via Napalm Records, label peu renommé en matière de musique des profondeurs, quand bien même depuis la signature d'Isole, il l'est désormais davantage. Qu'importe que ses auteurs aient d'abord fait parler d'eux grâce à Midnattsol, groupe de Pagan-Gothic-Metal à chanteuse, à priori très éloigné de leur univers et qu'ils ont depuis quitté (mais qui mérite mieux que cette maladroite étiquette). Qu'importe enfin que deux de ses sept complaintes (dont un court instrumental) soient alors déjà connus car remplissant de leurs tentacules la démo culte The Oath.
Oui, qu'importe tout cela, car The Call Of The Wretched Sea est une oeuvre à la démesure du concept nautique élaboré par Ahab et plus particulièrement de son thème ‘melvillien’ dont il épouse la puissance d'évocation. Ce faisant, il s'impose comme une des pierres angulaires du Funeral-Doom dont il offre une lecture qui n'appartient qu'à lui. Une incroyable et sourde tension gronde des entrailles de ce colosse monumental qui se déploie à travers de titanesques épopées qui ne descendent jamais (ou si peu) en dessous de la barre des dix minutes, cadre idéal permettant aux germaniques de creuser des telluriques excavations au fond des océans.
Propulsé par une énergie rentrée qui semble à la fois provenir des fosses Mariannes et être toujours au bord de l'explosion, The Call Of The Wretched Sea a cette particularité d'être comme une masse gigantesque d'une beauté silencieuse et souterraine dont on l'impression qu'elle se meut avec peine mais qui, en réalité, fend avec une puissance teintée de tristesse, la mer qu'elle parcourt, à l'image du cétacé qui lui sert de fil d'Ariane. Il suffit d'écouter "Old Thunder" pour comprendre de quoi il retourne, enclume pachydermique et terrassante dont les vibrations déclenchent à elle seules des tsunamis. Après une entame douloureuse où perle un désespoir infini, le titre s'abîme brutalement dans une crevasse sous-marine, perforant la roche avec ses coups de boutoir sismiques.
Plus atmosphérique, "Below The Sun" illustre quant à lui, toute la ténébreuse beauté dont la musique pourtant si massive d'Ahab peut se parer, qu'égrènent des accords souvent squelettiques, tels que ceux strillant aussi les premières mesures déchantées de "The Hunt". Là réside tout le paradoxe tout à fait remarquable d'un art à la fois d'une écrasante lourdeur et d'une finesse de touches dans ses moments les plus posés.
Plonger dans The Call Of The Wretched Sea tient de cette odyssée maritime, tragique et déchainée, la même que celle vécue par le capitaine Achab. Il suffit de fermer les yeux pour suivre la quête obsessionnelle aux confins de la folie de cet homme mû par un seul dessein, tuer cette baleine blanche mythologique, aventure humaine qui résonne à chaque riff, à chaque coup de caisse claire, à chaque éruption vocale caverneuse. Face à une telle perfection, le groupe mettra trois longues années pour accoucher d'un successeur digne de ce nom : The Divinity Of Oceans.