Fen fait partie de ces groupes qui cherchent à renouveler le genre – le black metal – auquel leur musique les arrime, à injecter du sang neuf dans les veines d'une scène parfois menacée par l’auto-parodie et la médiocrité. On avait découvert les Anglais avec leur premier EP, Ancient Sorrow, et l’impression laissée par celui-ci avait été plutôt bonne. Deux ans plus tard, nouveau label (Aural Music à la place de Northern Silence) et un véritable album longue durée qui tient, autant le dire tout de suite, toutes les promesses annoncées par son aîné.
Mieux, The Malediction Fields, aidé en cela par un format qui permet à ses géniteurs de déployer leur art comme il se doit, s’élève encore bien plus haut. Le visuel, beau et sombre, a quelque chose d’une invite, d’une porte ouvrant sur un univers à la fois noir, charbonneux et étrange, un univers dont on devine que la nature, les paysages désolées et sauvages y occupent une place essentielle, fondamentale. Pour honorer ces vastes étendues, ces forêts pleines de majesté, Fen trace des épopées portées par un souffle épique envoûtant.
Mais attention, le groupe ne lorgne pas, par exemple, vers un Empyrium qui peignait des paysages pastoraux, presque élégiaques. Non, la musique des Anglais est enracinée dans la terre, la tourbe. La nature n’y est pas poétique, elle est ancrée dans une réalité rude. Atmosphérique plutôt que pagan, triste plutôt que suicidaire, le black metal gravé par les musiciens ouvre de larges percées qui prennent le temps de respirer, à l’instar de certaines parties de "Colossal Voids", aériennes et guidées par un chant clair émotionnel qui n’est pas sans évoquer le timbre de Steven Wilson.
D’ailleurs, nous ne sommes parfois pas loin du rock progressif dans cette manière que le groupe à de tricoter des ambiances qui s’étirent, s’étalent et emplissent l’espace. Les titres sont longs (huit minutes en moyenne), prisonniers d’une lenteur obsédante, lancinante, ils ruissellent une beauté granuleuse qui est à l’image de leur thème, cette nature aimée, respectée, vénérée pourrait-on même dire. On pense à Primordial, à Negura Bunget pour situer, raccourci facile qui ne rend pas hommage comme il se doit à The Malediction Fields qui emprunte des chemins qui dépassent ce genre de comparaison commode. Il suffit d’écouter le magistral "As Buried Spirit Stir" pour s’en convaincre, voyage quasi contemplatif qui décolle grâce à des guitares déchirantes et à des nappes de claviers qui dressent un paysage immense. Et que dire du mélancolique "The Warren", qui débute avec un long pan instrumental qu’égrènent des accords squelettiques, puis des riffs majestueux avant de monter en puissance vers des sommets vertigineux avec l’apparition du chant craché par un gorge raclée avec du papier de verre.
Mais tous les morceaux sont des panoramas à eux tout seul. Il y aurait tellement à en dire sur chacun d’eux qu’il est sans doute préférable de ne pas trop chercher à les décrire. De "Exile’s Journey" au terminal "Bereft", sans doute l’apogée de l’album, de "A Witness To The Passing Of Aeons" à "Lashed By Storm" qui s’accélère dans son final, sont des perles élégiaques qui vous transportent très loin. Avec The Malediction Fields, Fen accouche d’une œuvre ample et admirable dont la richesse réclame de nombreuses écoutes, lesquelles vous apporteront toujours quelque chose qui vous avait jusque là échappé. Pourvu que le groupe parvienne à maintenir par la suite un tel niveau et une telle inspiration !