En 2003, Rick Wakeman sortait ce qui reste - à mon avis - son meilleur album chanté, le méconnu "Out There", aussi inspiré sur le plan mélodique que du point de vue de la performance. La présence du fantastique Damian Wilson au chant y était aussi pour quelque chose. Hélas, le chanteur décida à la dernière minute de ne pas participer à une intense tournée de près de 30 dates enchainées sans aucune journée de relâche ! S'ensuivit un retour impromptu du vieux compère Ashley Holt au micro à quelques jours du début de la tournée ce qui explique pourquoi on ne trouve que deux morceaux (les plus longs, il est vrai) de "Out There" dans le répertoire joué… Le résultat est là avec ce disque live enregistré en 2003 et qui sort on ne sait trop pourquoi seulement aujourd'hui sur le label Voiceprint. L'album étant un simple CD, il est clair que nous n'avons droit qu'à un extrait des concerts.
Premier constat : la qualité de l'enregistrement et du mixage est très bonne. Le son est clair et puissant. Seul un clavier avec des sons assez métalliques est mixé peut-être légèrement trop en avant, mais les autres musiciens ne sont pas relégués dans le fond et chacun a l'occasion de briller.
Deuxième constat : Ashley Holt n'est pas Damian Wilson mais on le savait déjà. Holt possède tout d'abord une voix plus grave et même s'il a fait de gros progrès depuis les années 70, il reste un chanteur inégal sur le plan de la justesse. Ici, il offre une performance globalement correcte sans les outrances vocales des années 70 mais la netteté exceptionnelle et la résonance de Damian Wilson font défaut. Sur "The Cathedral In The Sky" où la voix doit monter assez haut, il affiche ses limites. C'est une question de goût, bien sûr, car le chanteur est évidemment très apprécié des vieux fans. Par contre, son timbre qui a gagné en profondeur et en puissance au fil des années, convient assez bien à cette musique à la fois rock, grandiose et d'inspiration classique par moments. A cette époque, le groupe de Rick se rapprochait du hard rock grâce à l'apport du guitariste Ant Glynne, dont les qualités techniques et l'inspiration mélodique constituent un des grands points forts de cette période et notamment de cet album. "Out There" était une continuation du concept de l'album "No Earthly Connection" de 1976, où Holt était le chanteur. Il n'est donc pas surprenant de retrouver ici une suite d'extraits de cet album, dans une version nettement plus musclée, qui correspond plus ou moins à la 4ème partie, "The Realization" : tempo moyen et à l'ambiance dramatique qui rappelle quelque peu certaines comédies musicales modernes. Le morceau "Out There" est une pièce de choix, sorte de metal progressif à la sauce Wakeman, très mélodique, alternant des parties rapides, linéaires et puissantes et des moments lents, calmes ou sombres et menaçants, terminé par une conclusion majestueuse. Les parties vocales grandioses du English Chamber Choir présentes initialement sur le disque sont rajoutées au son du groupe.
On ne peut pas reprocher à Wakeman de reprendre encore un extrait de ses "Six Wives of Henry VIII" : cet album a été extrêmement populaire et nombreux sont ceux qui réclament des extraits des trois premiers albums, malgré la centaine d'autres qui a suivi ! Mais ici, Le claviériste démarre par une longue version de "Catherine Parr" (pas le titre le plus souvent joué), d'une virtuosité toujours aussi incroyable, avec une belle place laissée à Ant Glynne qui délivre un solo de guitare éblouissant. Une petite surprise : la présence du morceau instrumental "The Dance Of A Thousand Lights" issu du méconnu mais fort réussi "Return To The Center Of The Earth" publié en 1999, sorte de mouvement de concerto pour piano et orchestre à la mélodie superbe, basé sur des cascades fluides dont le musicien a le secret. L'orchestre est présent sous forme de pistes préenregistrées mais on regrettera que le piano électronique sonne de manière un peu artificielle.
Le disque se termine sur un enchainement de deux instrumentaux. Tout d'abord, c'est le bref "White Rock" arrangé avec des sons de claviers un peu moins kitsch que l'original mais finalement assez proche de celui-ci, le tout agrémenté d'un bref mais épique solo de guitare. Cette pièce syncopée à la teinte assez rock 'n' roll menée par un minimoog se fond dans la désormais classique reprise de "Würm" de Yes (dernière partie, composée par Steve Howe de la suite "Starship Trooper"), lente montée en puissance au rythme chaloupé. Cette grille d'accords bâtie en crescendo immédiatement reconnaissable permet de faire des solos à n'en plus finir tout en restant très mélodique, l'occasion idéale pour chaque membre de briller, et pas seulement Wakeman – même si sa performance sur la fin est vraiment époustouflante ! Glynne et Lee Pomeroy tirent eux aussi leur épingle du jeu. Il n'y qu'à écouter les superbes solos de basse et de guitare dès le début ! C'est définitivement le final idéal d'un tel concert ! Le groupe de Wakeman avec Damian Wilson jouait déjà "Starship Trooper" en entier lors des tournées précédentes (voir le superbe album live "Out Of The Blue") mais le morceau est impossible à chanter pour Ashley Holt, dommage.
Au final, cet album live est une agréable surprise, avec quelques moments très forts, le témoignage de ce qui aurait pu être de fantastiques concerts si Wilson avait été de la partie. Rendons hommage à Holt d'avoir su produire cette performance honorable en ayant été recruté à la dernière minute. Il aurait été intéressant de proposer le concert en entier d'ailleurs et non pas seulement cet extrait d'un peu plus d'une heure.