A l’aube des années 80, après avoir incorporé à son essence Rock ‘n Roll, les multiples influences de la scène Punk anglo-saxonne, La Souris Déglinguée dispose d’une trentaine de titres rodés sur de nombreuses scènes parisiennes. Un accord avec le label, alors naissant, New Rose Records, lui permet de publier son premier disque. Enregistré en 5 jours, cet album éponyme est une peinture très fidèle de l’univers de L.S.D. à cette époque. Cette mixture fusionnelle, née d’une base foncièrement Rock (aujourd’hui on dirait Rockabilly pour se différencier de ce terme devenu fourre-tout), abreuvée d’influences Punk, Reggae, Ska… tente l’amalgame de 2 univers distincts. Tout d’abord celui de la rudesse et de la violence urbaine qui s’expriment aux travers de textes magnifiant la zone, l’amitié, la solidarité de clan, et l’action spontanée et sans issue. Mais également celui de la fête, de l’énergie libératrice, par le biais de rythmiques entrainantes et de refrains fédérateurs, tendance Oï !
En termes de son, nous sommes clairement à des années lumières des standards actuellement en vigueur : celui-ci est brouillon et manque clairement de puissance. Pour autant, l’authenticité et la générosité qui transpire de ce témoignage vivant, est assez poignant. La simplicité des arrangements renforce d’ailleurs ce sentiment d’authenticité. Si, à la seule aune de la qualité musicale, ce disque est anachronique et sans avenir, replacé dans le contexte sociétal de l’époque, il est le reflet de l’errance d’une partie de la jeunesse urbaine (minoritaire par le nombre mais débordante d’une énergie très visible), et il n’est pas surprenant que plus de la moitié des titres présents ici soient toujours d’actualité lors des concerts du mustélidé, et qu’ils soient devenus des classiques pour les vétérans du pavé parisien. C’est le cas des incontournables "Jaurès Stalingrad" et "Sur La Zone" dont les refrains guerriers sont autant de cris tribaux visant à délimiter son identité tant sociale que (et donc) géographique, mais également de toute une série d’hymnes restituant les désillusion et l’errances d’une certaine jeunesse, avec "Jeunes Cons", l’agressif "Week end Sauvage", et l’emblématique "Rien N’a Encore Changé".
Taï LUC n’a pas encore atteint sa pleine maturité en termes d’écriture et les textes sont très simples et courts, mais on trouve déjà dans ceux-ci cette sonorité musicale et cette efficacité, que ce soit au niveau du fond, comme de la forme. Cette simplicité, cette immaturité pour certain, ne ferait-elle d’ailleurs pas partie intégrante du charme de ce disque ? Les choses sont moins évidentes qu’elles ne paraissent, et aux détours d’un "Beaucoup De Libertés" on constate que le groupe, sans avoir l’air d’y toucher, livre une vision ultra lucide et réfléchi des déviances et des mystifications de nos sociétés. Ce titre prémonitoire, met en scène la petite vendeuse du restauranch Mc Donalds, alors qu’au moment où il parait, Ronald vient de poser timidement (et sans trop y croire) son premier pied en France, 2 ans auparavant. L.S.D. ne se contente pas de dépeindre de manière ingénue sa réalité urbaine, il nourri notre réflexion. Ce morceau, issu de cessions réalisées antérieurement, est également, avec "Nation" un des premiers pas du groupe vers des ambiances reggaeisantes. En effet, malgré son aspect brut et direct, ce disque préfigure déjà l’évolution future de La Souris. Ainsi au détour, d’odes aux lendemains maussades, on trouve également "Cœur de Bouddha" qui laisse présager les thématiques asiatiques à venir.
Il n’en reste pas moins que le groupe aurait gagné à enrichir ses textes en développant d’autres couplets plutôt que de répéter ceux-ci. Les refrains sont suffisamment forts pour que ces répétitions soient inutiles. Il serait d’ailleurs intéressant, qu’au moins en concert, le groupe enrichisse certains de ses textes en substituant à la répétition des couplets de nouveaux paragraphes. Quoiqu’il en soit, et malgré ses défauts de jeunesse, "La Souris Déglinguée" est une entrée en matière fracassante pour le groupe et reste un témoignage vibrant, vivant, imparfait mais ô combien émouvant, d’un groupe de jeunes gens commençant à trouver leur chemin au milieu de collègues en errance.