A l'instar de Kammarheit ou du vétéran Raison d'Etre, Desiderii Marginis fait partie des pionniers suédois de la Dark Ambient. Mais là où la plupart des artistes du genre enfantent de monstrueuses et apocalyptiques bandes-sons, Johan Levin, le fondateur et unique membre du projet, joue davantage sur l'ambivalence. Au noir intégral, il injecte des ingrédients sinon lumineux du moins source d'une froide beauté.
Si l'entité a su se montrer relativement prolifique au début du nouveau millénaire, donnant naissance à six offrandes entre 2001 et 2007, c'était depuis lors un bien inquiétant silence radio qui régnait du côté de ce musicien pourtant si inspiré, long tunnel seulement brisé par la rétrospective, plutôt que banal compilation, Years Lend A Golden Charm, agglomérant ses premières enregistrements à l'époque uniquement publiés en cassette. Alors quand Cyclic Law, notre fournisseur préféré en matière d'Ambient, a annoncé dans son calendrier le retour du Suédois, nous nous sommes dit que 2012 serait vraiment une année exceptionnelle.
Parfois proche de The Ever Green Tree, Procession a quelque chose d'un kaléidoscope d'images plus crépusculaires que funéraires qui s'enracinent, comme souvent avec Desiderii Marginis, non pas dans un substrat urbain ou industriel mais dans la terre, celle, froide et noueuse de la Suède, laquelle n'est pas moins porteuse de visions aussi noires qu'oppressantes, comme l'illustre en ouverture "Come Ruin And Rapture", pulsation au souffle mystique d'une sourde flamboyance. Cela pourrait être hermétique et austère mais se pare plutôt d'une beauté désespérée. Ainsi, dans les veines de "Land Of Strangers" et plus encore dans celles de la terminale piste éponyme, coule une (très) lointaine influence celtique qui, si elle participe d'une mélancolie tragique, leur confère une forme de grâce obscure. De même, forgé autour de notes glaciales, "Adrift" est une élévation qui envoûte autant qu'elle engourdit.
Mais ne vous y trompez pas, Procession demeure une œuvre extrêmement sombre qui traduit à la fois la solitude de son auteur en même temps qu'une vision désenchantée, pessimiste même, du monde ("Silent Messanger"). Suivant une trajectoire qui ne doit rien au hasard, elle réclame d'être appréhendée dans sa globalité frissonnante plutôt que par miettes, afin d'en ressentir toute la puissance ("In Brigthness") que seule une écoute au casque et dans la nuit restituera comme elle le mérite.
Par sa dimension introspective et très personnelle, l'opus est de ceux qui vous prennent aux tripes, témoignant du pouvoir de fascination demeuré intact du Suédois qui livre un album à la hauteur de l'attente et d'une inspiration messianique.