Nonobstant les immenses qualités du projet, auteur d'un seul album éponyme (mais quel album !), la mort d'Amesoeurs aura au moins permis à ses deux têtes pensantes et amies, soit Neige et Fursy Teyssier, de se concentrer sur leur groupe respectif, Alcest pour le premier, Les Discrets pour le second, certes déjà en activité du vivant de leur embarcation commune, mais à la productivité jusqu'alors irrégulière.
Découvert avec justement un split partagé avec Alcest, le jardin secret de Fursy, par ailleurs illustrateur et réalisateur talentueux pour les copains (Old Silver Key avec Neige !), son label (Secrets Of The Moon) et bien entendu pour lui-même, a ensuite confirmé un charme extrêmement personnel avec Septembre et ses dernières pensées qui voyait la formation, également animée par la chanteuse Audrey Hadorn et la batteur Winterhalter, tous deux aussi de la famille Amesoeurs et Peste Noire, esquisser une musique atmosphérique à la croisée du Post-Rock et du Shoegaze.
Avec Ariettes oubliées..., que précédait un split avec Arctic Plateau au menu duquel figurait une reprise étonnante du thème de la série "Amicalement votre" ("The Persuaders"), Les Discrets continue de travailler son art, de le façonner en un tout, aussi bien sonore, textuel que visuel. S'ouvrant et se fermant sur les deux bouleversantes et (quasi) identiques pistes instrumentales "Linceul d'hiver" puis "Les regrets", que cimente la même mélodie empreinte d'un profond désespoir, sa forme cyclique participe de l'élaboration d'un art total. Cette construction nous offre la possibilité d'en balayer le contenu de manière linéaire.
Ainsi encadré, les six principaux titres sont alignés comme autant de chapitres d'une histoire écrite à l'encre grise d'une vie engluée dans la tristesse, sentiment dont les pinceaux demeurent plus que jamais la voix fragile de Teyssier et ses lignes de guitares granuleuses et aussi entêtantes qu'osseuses. Long de plus de huit minutes, "La traversée" pose les jalons d'un récit en clair obscur. Avec son emballement final, il reste le titre le plus Rock d'un ensemble que voile un linceul de mélancolie. "Le mouvement perpétuel" lui succède, après un long démarrage. De sa voix fébrile, Audrey accompagne le musicien aux multiples facettes. Déchiré par des éclairs Post-Rock, le morceau éponyme est déchirant, respiration centrale feutrée, tandis que "La nuit muette" épouse les lignes tout d'abord plus enlevées avant que son ton ne se durcisse à mi-parcours, enténébré par des guitares d'une noirceur charbonneuse. Précédé de "Au creux de l'hiver", "Après l'ombre" annonce une fin d'une trompeuse légèreté car tavelée de regrets.
Œuvre d'une élégance hivernale et profondément désenchantée, mais d'où suinte pourtant une morne beauté, Ariettes oubliées... affirme une identité aussi charismatique qu'attachante. Face à une telle réussite, à l'émergence d'un tel talent, on en viendrait presque à remercier les membres d'Amesoeurs d'avoir si rapidement sabordé le groupe...