L'Allemagne est depuis quelques années le théâtre d'une véritable effervescence artistique autour d'une scène psyché passionnante que d'aucuns jugent toutefois sans grand originalité, arguant que ces musiciens ne font que (re)découvrir le Krautrock de leurs aînés, courant emblématique des années 60/70 dont on rappelle qu'il fut une sorte de réponse au rock progressif anglo-saxons autour d'artistes aussi divers que Klaus Schulze, Tangerine Dream ou Amon Düül. La critique n'est pas injustifiée. Ceci dit, qui invente encore quelque chose aujourd'hui ? Qui propose encore du frais, du neuf ? Pas grand monde à vrai dire. L'originalité à tout prix est-elle de toute façon si primordiale ? Pas sûr. Le plus important n'est-il tout simplement pas le plaisir que procure une musique, fusse-t-elle passéiste ? Il est permis de le penser.
C'est bien justement de plaisir qu'il s'agit avec Electric Orange qu'il ne faut pas confondre - quoique que cela ne serait pas si grave - avec son compatriote Electric Moon dont il ne partage pas seulement le label Sulatron (le boss n'est d'ailleurs qu'autre que Sula Bassana !) mais surtout une même muse seventies, plus progressive chez le premier, plus Space-Rock chez le second. Formé en 1993 par Dirk Jan Müller qui nous régale depuis avec ses sons de Mellotron, Minimoog, Hammond et autre orgue Farsifa, le groupe a sans doute atteint l'apogée de sa carrière avec le bien nommé Krautrock From Hell, sur la réussite duquel s'appuie Netto, un huitième album fortement attendu par les nostalgiques de plus en plus nombreux de ce feeling psyché aux allures de Graal.
Entièrement instrumentale et bien que divisée en 9 pistes, l'œuvre n'est en réalité qu'un seul et unique bloc de plus de 70 minutes qu'aucune interruption ne borne. Emporté par cette guitare hurlante,"Polyzyten" met en branle ce long flashback, plongée savoureuse d'une bonne quarantaine d'années en arrière. Entre rythmique tribale ("Basslochner") ou non ("Auslauf"), effluves rêveuses ("Fluff"), délire bizarroïde ("Perpetuum Mobiliar") ou myriades d'effets électroniques, Netto est comme un trip aussi halluciné qu'hallucinant d'une foisonnante richesse sur lequel plane l'ombre du grand Pink Floyd, référence plus qu'évidente sur "Supptruppen" et ses 13 minutes teintées d'étrangeté qui voient, lors d'une première partie nébuleuse et opaque, l'orgue démentiel de Dirk Jan Müller s'élever peu à peu sur fond de roulement de grosses caisses.
Tout d'abord assez Rock, l'album s'enfonce progressivement dans un brouillard où la réalité paraît déformée. Dernières marches vers cette autre dimension, "Zeitheiser" puis "Raumschaf" sont deux pulsations aux allures de magma incandescent d'une puissance hypnotique absolue qui confine à la transe. Electric Orange tricote durant ces interminables (dont le bon sens du terme) minutes, un climat au bord de l'irréel. Sans jamais sonner daté ni ennuyer à un quelconque moment, les Allemands revisitent le Krautrock avec un brio conjugué à cette 'vibe' analogique qui font d'eux la plus bandante machine à remonter le temps. Avec Electric Moon, forcément...