En 1991, Robert Wyatt revient avec son quatrième album, "Dondestan", si l'on excepte "The End Of An Ear" que l'artiste n'inclut pas lui-même comme faisant partie de sa discographie officielle et "Nothing Can Stop Us", une compilation de singles et de reprises parue fin 70, début 80. La discographie de Robert Wyatt n'est pas un long fleuve tranquille et semble aussi tortueuse et fantaisiste que les compositions du bonhomme. Bien que "Dondestan" soit salué par la critique, Wyatt, peu satisfait du mixage final un peu bâclé pour raisons budgétaires, décide de peaufiner son disque et sort en 1998 une version remixée baptisée "Dondestan Revisited" sur laquelle les textures ambiantes sont mieux mises en valeur et où l'ordre des chansons se voit quelque peu bouleversé. Nous ne nous lancerons pas ici dans une analyse comparative des deux disques. Il y a fort à parier que ceux qui auront d'abord entendu la version de 1991 lui resteront fidèles quand ceux qui auront abordé cette œuvre par la version de 1998 ne jureront que par celle-ci. On peut juste remarquer que l'édition de 1991 renouvelait l'expérience de "Ruth Is Stranger Than Richard" : une première partie plus expérimentale et atmosphérique pour accompagner les textes d'Alfreda Benge et une seconde plus aisée d'accès avec ses structures jazz/chansons/comptines. L'édition de 1998 brouille les pistes, les cinq titres "Benge" étant enchâssés dans ceux de Wyatt, alternant les passages classiques, jazzy, atmosphériques et expérimentaux. Même si, quelle que soit l'édition, l'univers onirique de Robert Wyatt est tellement original qu'il serait exagéré de vouloir dégager un fil conducteur net entre les différents titres.
Comme sur "Old Rottenhat", Wyatt assure à lui seul toutes les parties instrumentales essentiellement constituées de claviers et percussions diverses, dans le style minimaliste qui lui est propre. Pas de titres aux orchestrations pléthoriques, pas de solo homérique, pas de prouesse technique. Les percussions, bien qu'omniprésentes, restent néanmoins très discrètes, Robert Wyatt effleurant avec délicatesse ses toms et cymbales, préférant l'usage des spatules aux baguettes. Les claviers se réduisent le plus souvent à quelques notes parcimonieuses égrenées au hasard quand il ne s'agit pas d'une mélodie fluette tirée d'un orgue Bontempi. Les ambiances sont feutrées, intimistes, le tempo est souvent lent, le chant est ténu, fragile. Tout est en touches pastel, propice au vague à l'âme, aux réflexions contemplatives et au spleen. Le monde selon Robert Wyatt hésite entre résignation fataliste et incommensurable désespoir, parfois déchiré par de rares éclairs de révolte ou d'inquiétante folie.
Les structures des chansons sont, comme à l'habitude, floues et indéfinissables. Si 'CP Jeebies' et 'Worship' ébauchent des semblants de couplets/refrain à l'ambiance jazzy, ils n'ont cependant rien de tubes FM. 'Lisp Service' est un superbe titre mélancolique où les voix s'enroulent en chœurs et en échos, prouvant si nécessaire que le timbre et la sensibilité sont plus essentiels au chant que le coffre. 'Left On Man' et 'Dondestan' prennent la forme de litanies, le premier chanté d'une voix blanche et désincarnée, le second plus énergique tournant sur une mélodie sciemment simplette, entonnée de façon caricaturale. Tous les autres titres flirtent avec une musique expérimentale et atmosphérique, si tant est que ceux déjà cités s'en affranchissent un peu. Les tonalités inquiétantes de l'introduction de 'Costa' ou les percussions râpées et le discours précipité de 'Shrinkrap' jouent avec les nerfs et les sentiments de l'auditeur. Sur 'The Sight Of The Wind', la rythmique est buccale, assurée par force soupirs et autres respirations sonores (chu-chu-chu) et Robert Wyatt nous gratifie d'un chant désincarné, irréel, d'autant plus poignant qu'il semble ne receler aucune parcelle d'espoir, sur les sons alanguis et discordants des claviers, dans une atmosphère très proche de celle d'un Peter Hammill. Absence de structure, non-mélodie, faux rythmes, notes étirées à l'extrême ou jouées en boucle inlassablement, autant de procédés habituels à l'artiste qui nimbent le tout d'une mélancolie profonde teintée d'un humour désabusé.
"Dondestan Revisited" ne surprendra pas ni ne décevra l'auditeur familier à l'univers de Robert Wyatt. On y retrouve tous les ingrédients qui constituent sa marque de fabrique. Il constitue également une excellente approche à l'œuvre du bonhomme. Il est vrai que, comme il n'existe pas de mauvais album de Robert Wyatt, tous ses disques peuvent indifféremment être utilisés comme première approche.