Si pour vous, violon est synonyme de Vivaldi, ne vous attendez pas avec ce disque à un remake des "Quatre Saisons". Certes l'instrument de prédilection de Catherine Graindorge est bien le même que celui du célèbre compositeur italien, mais notre musicienne belge l'utilise de façon moins expansive (c'est une litote).
Catherine Graindorge a participé à de nombreuses expériences musicales, la dernière en date étant sa collaboration au sein du groupe Nox. Avec "The Secret Of Us All", elle réalise son premier album solo. Elle interprète pratiquement seule tous les titres, ne se faisant accompagner sporadiquement que sur quelques-uns, ici d'une ligne de chant, là d'un picking à la guitare ou du frottement d'une contrebasse. L'album majoritairement instrumental (seuls trois titres sont chantés) est donc porté d'un bout à l'autre par les voix des violons et altos de la dame. S'il est un instrument dont le timbre contient toute la tristesse du monde, c'est bien le violon et Catherine Graindorge force le trait en donnant à ses compositions une teinte mélancolique, voire inquiétante.
Car si la musique est sombre et lente, elle sort fréquemment des sentiers battus. Certes, certains titres contiennent de belles mélodies empreintes de nostalgie comme on était en droit de s'y attendre ('Animal', 'Extreme Lenghts' ou la seconde partie du titre éponyme) mais le plus souvent, l'auditeur est confronté à une musique expérimentale faite d'atmosphères, de textures, sans véritable fil directeur. Toutes les techniques y passent : pizzicatos, cordes frottées ou frappées de l'archet, boucles hypnotiques, dissonances, répétitions obsessionnelles (sur 'Le Do', la même note est répétée inlassablement de la première à la dernière mesure sans la moindre variation), tout est mis en œuvre pour éviter la lassitude que pourrait engendrer cette musique intimiste, dépouillée et un brin aride.
Parfois, cela ne suffit pas. 'Ashes & Soul', 'In The Distance', 'Kayak' ou 'The Secret Of Us All' sont à ce point expérimentaux et contemporains qu'ils confinent à l'hermétisme et risquent d'en rebuter plus d'un. Sur 'Birth', on se demande même si l'on n'est pas en train d’écouter l'artiste accorder son violon ! Dans d'autres cas, l'alchimie fonctionne à merveille, comme sur un 'Sinking' aux tonalités hivernales où les traits de violon vont et viennent comme des vagues. 'Fragile' installe par ses nappes hésitantes et brumeuses survolées de traits graciles et fantomatiques un climat de solitude glacée et de désespoir lancinant d'où se dégage une véritable émotion. 'Air' est peuplé de sons éthérés, vaporeux, non identifiables et de voix angéliques. Une profonde respiration audible tout du long fait qu'on ne sait pas si l'on a pénétré fortuitement le rêve d'un dormeur ou si l'on se situe à la frontière de la vie et de la mort. Le titre dégage une fascination macabre.
Le disque ballotte ainsi entre volutes, spirales, discrètes mélopées, cris de mouettes, boucles lancinantes et cacophonie. "The Secret Of Us All" est tout en atmosphères, il faut se laisser bercer par ces tonalités parfois stridentes, cycliques pour l'essentiel, et laisser son esprit vagabonder, au risque, si on n'entre pas dans le jeu de l'artiste, d'être très vite lassé et agacé par cet album.