Sixième album et nouveau changement de crèmerie pour La Souris Déglinguée qui, en signant chez Musidisc Records, entame sa cinquième lune de miel avec une maison de disque. Une instabilité qui n’a certainement pas aidé le groupe à se bâtir une carrière. Et de fait, en 1988, les muridés sont un peu dans l’impasse. Plombés par une réputation sulfureuse, affublés d’une identité musicale complexe, et guère aidés par une communication ne voulant rien céder aux tables du marketing. Le groupe achève sa première décennie d’existence en s’enfermant de plus en plus dans le statut de groupe culte, statut qui a bien souvent un arrière goût de lot de consolation. Et c’est portant à ce moment que choisit La Souris pour sortir ce qui est probablement son album le plus abouti et le plus complet de l’ère pré "Banzaï".
"Quartier Libre" est en effet un disque fort et équilibré. Fort, car il comporte des compositions de tout premier ordre. Equilibré, car dans bien des domaines, le groupe à trouvé son sens de gravité. Que ce soit au niveau des émotions, des styles musicaux, des thèmes abordés, de l’interprétation ou du son, la bande à Taï Luc a trouvé SON barycentre. La palette artistique est désormais pleinement maitrisée. Et pourtant ce n’est pas forcément vers cette ambiance sonore que le canal historique de la La Souris, Rikko et Taï Luc, souhaitait se diriger. En bon rat de la zone, L.S.D. commence à s’ouvrir à l'un des nouveaux langages de la jeunesse : le Rap (NTM ferra leur première partie à l’Olympia, 2 ans plus tard). Mais l’enregistrement se fait sous la houlette de Yves Chouard / Choir, qui, au-delà de doter le groupe d’un très gros son, dope la batterie et les guitares en les propulsant en avant, pour le plus grand bonheur de Jean-Pierre. Mais le chant agressif (on est pourtant loin des braillements de "Une Cause A Rallier"), la couleur Heavy du son, et les sonorités un peu électroniques de la batterie seront décriés par une partie des membres du groupe. Pourtant ce son boosté n’empêche en rien le groupe de développer ses ambiances.
Ainsi, que ce soit au travers du rock abrasif de "Partir sans dire adieu", ou du Rock ‘n Roll sixties de "Jo", l’émotion est bien présente. Ce dernier titre, qui possède une certaine filiation avec l’album "Eddy Jones", est l’occasion pour Taï Luc d’évoquer l’arrivée de son père en métropole, alors que "Rappelle-toi" qui n’aurait pas dépareillé sur "La cité des anges" reprend le thème, coutumier pour le groupe, de la nostalgie des années de Zone. Mais la palette des sentiments et des ambiances présents sur ce disque est bien plus large et ne se limite pas à ces couleurs. L’évocation du Sud Est de l’Asie, ici à l’honneur dans "Seul sur la muraille" et "Khun San Blues", devient une thématique incontournable, alors que le reggae-ska est également toujours présent, que ce soit au travers de cette dernière chanson ou bien de l’excellent "Jeunesse de France" à la diction si rythmique. En parlant de rythmique, le très groovy "Les poings du destin", et ses chœurs étranges, est l’occasion pour La Souris de flirter avec des ambiances plus radiophoniques (pour l’époque).
L’édition CD de cet album comprendra en outre 2 titres déjà présents sur le maxi 45T sorti en amont du 33T, à savoir le très rock "Le Grand Voyage" sur lequel Little Bob (contacté via Yves Choir) vient poser son harmonica. Et le très énergique "Camarades".
Au final, et même s’il ne correspond pas tout à fait aux attentes de certains de ses membres (Rikko l'assimilant à une maquette !), ce "Quartier Libre" est un excellent disque, très accessible, et qui comporte les classiques incontournables de La Souris Déglinguée, que sont "Seul sur la muraille", "Jeunesse de France", "Khun Sa Blues", "Rappelle-toi". C’est, à mon sens, une des portes d’entrée dans l’univers de L.S.D..