S'il a renoué avec le format double album, celui de Epistemological Despondency et de The Pernicious Enigma, lequel contribua à façonner la légende du groupe britannique, The Maniacal Vale fut en réalité le direct successeur de Metamorphogenesis et surtout de Subconscious Dissolution Into The Continuum dont il a poursuivi l'évolution vers un art moins hermétique, moins aride, plus accessible très certainement, bien que cela reste très relatif, mais d'une beauté décuplée. A nouveau double ration, Paragon Of Dissonance marque-t-il trois ans plus tard un retour en arrière ou affirme-t-il cette évolution ?
Contre toute attente, Esoteric livre un sixième voyage comme lui seul en a le secret, en cela qu'aucune autre formation n'a tenté de le copier, ce qui de toute façon ne pourrait se solder que par un lamentable échec, ce Funeral Doom extrêmement personnel dans sa démesure cosmique devant tout - ou presque - à Greg Chandler dont les parties de chant, qui semblent provenir directement d'un trou noir, ainsi que les lignes de guitares extraterrestres sont les arcs-boutants de cet édifice halluciné.
Corollaire de cette identité très forte, sans doute désormais durablement fixée, on reconnaît immédiatement un album d'Esoteric. Ce qui ne signifie pas que les surprises ne soient pas au rendez-vous, bien au contraire. Or, pour la première fois, et contrairement à ses aînés donc, Paragon Of Dissonance n'étonne pas vraiment. Ce qui paraissait si démentiel il y vingt ans, à savoir ces doubles albums faits de labyrinthes sonores aux allures de magma funéraire, l'est beaucoup moins maintenant. Le caractère plus atmosphérique, plus fluide que revêt la musique du groupe depuis Metamorphogenesis n'y est sans doute pas étranger. Esoteric a perdu en opacité ce qu'il a gagné en émotions.
Certains le regrettent, d'autres, dont nous faisons partie, saluent cette évolution qui culmine avec ce nouvel opus duquel jaillissent des moments de beauté pure, une beauté toutefois toujours aussi déchirante, tragique. C'est le cas, sur le premier disque, de "Now Being", étonnement mélodique (du reste, pas pour tout le monde !) et surtout de "Abandonment", parfaite synthèse entre noirceur abyssale et explosion des sens. Son final en forme d'élévation cataclysmique où Chandler hurle comme si demain ne devait pas exister, le tout sur fond de roulement de caisse clair et de lignes de guitare engourdies par une tristesse absolue, voit Esoteric accéder à la quintessence de son art. Ce titre justifie à lui seul l'acquisition de Paragon Of Dissonance dont le second disque se montre plus timide en grands moments, exception faite de "Disconsolate" que les ayatollahs ne manqueront pas de trouver trop "facile", comprendre trop lisse, à l'image également de "A Torrent Of Ills".
A l'arrivée, Esoteric accouche d'une œuvre fleuve selon son habitude, inégale, ce qui l'est moins, heureusement entaillée par des fulgurances à la mesure de son talent (ce "Abandonment", de loin une des plus belles pièces qu'il ait jamais composées). Reste que les Anglais, ivres d'un style qui n'appartient qu'à eux, n'évitent que de peu le piège de la stagnation, de l'album prisonnier de figures archétypales. Un disque de plus ? Nous n'irons pas jusque là car Greg Chandler et ses musiciens ont atteint une maîtrise qui les place largement au-dessus de la moyenne et demeurent les architectes d'un univers unique à la fois limpide, lointain et d'un éclat terrifiant. Le successeur de Paragon Of Dissonance sera par contre décisif...