Souvenirs, souvenirs pour les plus anciens d'entre nous. En 1967, un groupe au nom étrange signe le tube de l'été, de l'année, de la décennie et peut-être même du siècle. A peine âgés d'une vingtaine d'années, les musiciens de Procol Harum nous ensorcellent au son d'un orgue Hammond envoutant qui nous entraine dans un slow romantique à souhait ayant fait le bonheur de plusieurs générations de jeunes mâles, dont votre serviteur.
'A Whiter Shade Of Pale' est né, hymne mythique définitivement associé à la légende du groupe. Sorti à l'origine en single, le titre ne figure pas sur le premier album sorti en Angleterre, sobrement baptisé "Procol Harum", mais est repris sur l'édition américaine judicieusement renommée "A Whiter Shade Of Pale". Le thème emphatique à l'orgue, la voix chaude et caractéristique de Gary Brooker, le raffinement des arrangements, la mélodie aisément mémorisable, bien que difficile à reproduire, autant de clés expliquant le succès mérité de ce titre. Tordons immédiatement le cou aux rumeurs : 'A Whiter Shade Of Pale' n'est pas le plagiat d'une œuvre de Bach. Des analyses musicologiques ont démontré que les morceaux du compositeur allemand, dont Procol Harum était censé s'être inspiré, n'étaient pas écrits dans la même tonalité et ne présentaient pas de succession de notes identiques pouvant laisser suspecter un éventuel emprunt. Plus simplement, la culture classique de Gary Brooker et Matthew Fisher s'est naturellement imposée, empruntant à la musique baroque les tournures de phrases qui vont séduire tant d'auditeurs.
A l'ombre de ce monument, le reste de l'album a bien du mal à exister. A tel point qu'il faudra attendre 1972 et leur "Live With The Edmonton Orchestra" pour que leur reprise de 'Conquistador' accède à son tour au statut de tube. Pourtant, Procol Harum impose dès ce premier disque le style qui lui sera caractéristique. D'une part, il exploite sa veine classique et romantique en utilisant deux claviéristes, Brooker au piano et Fisher à l'orgue Hammond. Mais il reste également fidèle à un rock tellurique, simple et basique, fréquemment teinté de rhythm'n'blues. Leurs albums se partagent équitablement entre ces deux sources d'inspiration, alternant titres dansants et immédiats avec des morceaux raffinés aux structures plus complexes.
L'album a certes vieilli et sa tonalité vintage possède le même charme suranné que celui des photos sépia. Un parfum de psychédélisme, de légèreté, propre à la fin des années 60 / début des années 70 ('Mabel', 'Good Captain Clack'), côtoie la musique pour boîte de nuit période hippie ('Kaleidoscope'). Mais les autres titres ont mieux résisté à l'épreuve du temps et 'Conquistador', 'She Wandered Throught The Garden Fence', 'Something Following Me' ou 'Salad Days (Are Here Again)' font des compagnons plus qu'honorables au titre phare. 'A Christmas Camel' réussit à faire cohabiter pacifiquement piano, orgue et guitare, réunissant les trois influences qui mèneront quelques années plus tard aux dissensions connues par le groupe. L'instrumental 'Repent Walpurgis' conclut somptueusement l'album comme il avait débuté, par un titre aux influences classiques citant cette fois sans ambigüité un prélude de Bach.
Pour un premier album, Procol Harum frappe fort et affiche des ambitions à la hauteur de ses moyens. Outre le piano magique de Gary Brooker et l'orgue céleste de Matthew Fisher, il possède en Keith Reid un parolier/poète de haut-vol. Quant à B.J. Wilson, s'il se confine encore à un rôle rythmique très basique, il ne va pas tarder à démontrer l'étendue de son talent.