Attention, album rare ! Pas seulement parce que les Suédois d’Anglagard n’avaient pas sorti d’opus studio depuis 1994, mais aussi parce que leur univers est très particulier. Viljars Öga reste dans la ligne d’Epilog paru précédemment, un remarquable album entièrement instrumental qui fait référence dans le domaine du progressif à tendance symphonique.
Anglagard définit lui-même sa musique comme 'pleine de vitalité, bizarre, romantique, agressive, rigolote et par-dessus tout très, très suédoise'. A part le dernier qualificatif, nébuleux et passablement subjectif, il est vrai que l’ambiance est bien décrite. Le côté agressif ne sautera pas aux oreilles des amateurs de métal : Anglagard n’utilise que des sonorités vintage (beaucoup de flûte et de mellotron), sans riffs appuyés ni distorsions fracassantes. La dynamique ne naît pas de l’utilisation de sonorités 'métal', mais de l’emploi subtil de dissonances ou de certains soulignements d’arrangement : basse râpeuse, soulignement de sax âpre, télescopage de mesures (mesures simples / mesures asymétriques). Anglagard passe ainsi de sections assez heurtées à des moments de pure mélodie (romantiques, donc), telle l’entame du premier mouvement et le final du troisième. Car il est bien ici question de symphonie : Viljars Öga se compose de quatre parties de belle ampleur (entre 12 et 16 minutes), joliment titrées – "Le Courant de Repos", "la Cape de Deuil", "Condamnation Immédiate" et "L’Horloge du Désir". Et leur écoute nécessite la même qualité d’attention qu’une symphonie classique : là où certains groupes de progressif tutoient le jazz (Osada Vida par exemple), Anglagard évoluerait plus dans un univers apparenté à la musique de chambre, où chaque instrument a sa place exacte - nul doute que le moindre coup de cymbale, le plus petit slap de basse (quelle présence !), le plus infime souffle de hautbois ait été mûrement réfléchi. Tout est ici souvent d’une grande simplicité, mais aussi d’une richesse inouïe qui nécessitera de nombreuses écoutes pour en découvrir toutes les finesses.
Evoluant de passages intimistes (l’entame de "Ur Vilande", quelque part entre Debussy et Anthony Phillips) à des passages torturés pas toujours évidents (le début de "Snardom"), côtoyant parfois le fellinien dans un délire très contrôlé (fin de "Längtans Klocka"), Anglagard sait aussi donner dans les passages amples très mélodiques, utilisant tous les contrastes d’une vaste palette, ce qui fait de Viljars Öga une œuvre finalement impressionniste.
Cette variété d’expression ne s’apprivoise pas facilement, et Anglagard aura vraisemblablement ses détracteurs comme ses admirateurs inconditionnels. Il n’en reste pas moins que Viljars Öga est une expérience musicale à part que tout amateur de musiques progressives se doit de goûter, une alchimie indescriptible qui côtoie souvent le merveilleux. Magnifique album !