Peu à peu est en train de s'affirmer une véritable scène pagan-black-metal britannique. Mais entre celle-ci et, par exemple, la déclinaison folklorique et sautillante du genre comme peuvent l'usiner Finntroll et compagnie, c'est tout ce qui sépare l'authentique de l'authentoc. Son identité s'enfonce dans un substrat âpre, terreux et mélancolique au goût de sang et de fer, loin, tellement loin, de la musique pour fête de la bière. Dans le sillage d'un Primordial au statut de patriarche, ca se bouscule en effet dans la forêt : Fen, Askimal, Winterfylleth...
Si vous connaissez bien ce dernier, alors Wodensthrone ne vous sera pas inconnu puisque les deux groupes partag(ai)ent le même guitariste, Richard Brass, également actif dans le doom apocalyptique avec Atavist. Et après deux splits remarqués, notamment le second avec les Belges de Folkvang, c'est un euphémisme que de déclarer que Loss, sa première épopée longue durée, était attendue comme le messie.
Glorifiant le nationalisme, la nature et l'Angleterre des temps anciens, Wodensthrone ne manquera certainement pas de faire vomir quelques gratte-papier bien pensants. Ce n'est pas grave. Et tant pis si Loss n'est pas le chef-d'œuvre que beaucoup espéraient: ce galop d'essai, de toute façon largement supérieur au tout venant du black qui ne cesse (re)découvrir l'histoire, est cependant conforme à ce que l'on attendait de lui. Empreint d'une gravité minérale, il est une masse compacte et massive d'un métal noir brut et grandiose qui ne confond jamais pompeux et dimension épique.
A l'image du visuel, superbe, le paysage que l'on devine majestueux, sauvage, s'ouvre avec une introduction presque cinématique, "Fyrgenstréam". Les claviers libèrent un tapis atmosphérique mais ne vous y trompez pas, c'est bien le fracas des guitares, abrasives et trempées dans le granite qui propulse ces longues batailles ferrugineuses ravivant des valeurs ancestrales et séculaires.
Charpentés par une batterie qui, comme chez Primordial, n'aime rien moins que tricoter des rouleaux au point de suspendre le temps au-dessus d'une faille noire et grondante (le terrassant "Those That Crush The Roots Of Blood", la dernière partie, monumentale, de "Upon These Stones" où la caisse claire vient souligner les fils de tristesse tissées par les six-cordes), ces titres dressent un panorama d'une beauté souterraine et pastorale, ornementés d'un maigre chapelet de sonorités folkloriques ("Pillar Of The Sun"). Il y a toujours cette rudesse, cette violence viscérale et organique ("Black Moss"), trait essentiel attaché à l'art noir païen anglo-saxon. Les racines black n'y sont jamais gommées par de quelconques gimmicks ou apparats folk. Au contraire, quand le groupe y a recours, comme sur "Upon These Stones" dont le pont instrumental est enrichi de lignes de flûte, il ne perd pas en noblesse et profondeur. Les instruments traditionnels, à l'utilisation du reste parcimonieuse, sont seulement là comme teinte pour rehausser le tableau par de légers aplats.
Car Wodensthrone prend appui sur un socle dur et tranchant comme un glaive trempé dans le sang de l'adversaire. A l'instar d'un Drudkh auquel on pense par moment (le très beau "Leódum On Lande"), les riffs sont peuplés d'images de désespoir. Les tragiques "Those That Crush The Roots Of Blood"et "That Which Is Not Forgotten", porté par un souffle quasi contemplatif, conclusion grisante, sont ainsi l'écrin abritant un désenchantement absolu et beau à en pleurer. Immense !