Comme la plupart des grands groupes des années 70, Procol Harum s'impose la cadence respectable d'un album annuel et sort en 1971 son cinquième album, "Broken Barricades". La pochette, on ne peut plus sobre, est assez infidèle à la réalité du line-up puisqu'elle présente les quatre musiciens, le malheureux Keith Reid n'ayant pas l'honneur d'être montré au public. Il s'agit là d'une injustice flagrante, d'abord parce que Reid sera le seul membre de Procol Harum avec Gary Brooker à être présent sur tous les disques, ensuite parce que ses textes sont parfois si dérangeants qu'ils sont jetés comme un reproche à la tête du groupe par la critique.
C'est justement le cas pour "Broken Barricades" où les textes macabres vont jusqu'à être taxés de nécrophilie. Accusation probablement exagérée, Brooker plaidant qu'il ne s'agit là que de "sexe et de violence", des thèmes finalement conventionnels pour un groupe de rock du début des années 70, mais qui casse un peu l'image surannée d'un groupe catalogué comme classique.
Et justement, de classique il n'en est pas question sur cet album où l'on cherchera en vain un successeur à 'A Whiter Shade Of Pale' ou 'Wreck Of The Hesperus'. Seul 'Luskus Delph', avec ses arrangements orchestraux, rappelle le glorieux passé, sans réussir à s'élever au niveau de ses illustres prédécesseurs. Tous les autres titres sont inspirés du blues, du rock et plus souvent du hard rock, mais le durcissement et la simplification de la musique conduisent à une franche catastrophe.
Pourtant, la première face vinyle sauve les apparences avec 'Simple Sister', un hard rock frustre mais énergique, 'Broken Barricades' à la mélodie touchante, et le déjà cité 'Luskus Delph'. Trois titres moyens pour un groupe comme Procol Harum, mais honnêtes. Le dernier titre de cette face, 'Memorial Drive', préfigure ce qui va venir. Un rock basique, classique jusqu'au bout des ongles, monolithique, où la guitare prédominante prend le pouvoir. Est-il nécessaire de préciser que le titre est signé Trower et que le groupe semble de nouveau secoué par les dissensions qui s'étaient déjà faites ressentir sur "A Salty Dog" ?
Car si la première face peut encore faire illusion, l'écoute complète du disque ne laisse place à aucun doute : Brooker est aux abonnés absents, ses compositions manquent de charisme et son piano sert plus à meubler les vides que lui concède la guitare qu'à tenir le premier plan. Trower semble avoir pris l'ascendant, impose trois de ses compositions et chante (mal) sur deux d'entre elles. Mais surtout, il abrutit son auditoire de solos de guitares certes démonstratifs, mais bruyants et manquant sincèrement d'âme. 'Power Failure' et 'Playmate Of The Mouth' exsudent l'ennui, 'Poor Mohammed' souffre d'un manque d'inspiration chronique à tous les niveaux, et l'expérimental 'Song For A Dreamer' se veut un bien piètre hommage au défunt Jimi Hendrix.
L'horizon paraît bien sombre. Mais extraordinaire retournement de situation, Trower décide d'aller jouer les guitar-heroes en soliste et abandonne Procol Harum aux mains du duo Brooker/Reid qui va alors écrire les plus belles pages de la vie du groupe. "Broken Barricades" reste à ce jour leur témoignage le moins convaincant, un accident de parcours à oublier bien vite.