Après être passé relativement inaperçu avec ses premiers albums, ou tout du moins ne pas avoir reçu la consécration à laquelle il s'attendait, Procol Harum trouve enfin le succès médiatique et la reconnaissance avec la version orchestrale de son premier disque public, "Live With The Edmonton Symphony Orchestra", suivi du magnifique "Grand Hotel" surfant sur la même vague. Plutôt que d'essayer d'exploiter un filon qui semble prometteur, Gary Brooker et Keith Reid décident de se débarrasser au plus vite de l'étiquette d'un groupe aux compositions classiques et orchestrales, montrant par là une certaine indifférence à l'engouement, toujours versatile, du public et de la presse. Par ailleurs, passablement agacés que le succès de 'Grand Hotel' (la chanson) ait occulté les autres compositions de l'album éponyme, ils décident que leur nouvelle production portera un titre se référant à l'illustration de la pochette et non à l'un des morceaux.
"Exotic Birds And Fruit" revient donc aux racines du rock avec de "simples" chansonnettes couplet/refrain/pont en apparence, mais dont la profusion de digressions instrumentales démentent cette impression de facilité superficielle. Pas de tube certes, mais que de titres de qualité ! L'album s'ouvre sur 'Nothing But The Truth', un rock musclé et efficace avec une batterie qui mène la danse, des riffs de guitare bien sentis, un orgue en verve et la voix chaude de Gary Brooker. On ne pouvait souhaiter une entame plus dynamique. 'Beyond The Pale', 'As Strong As Samson' et 'The Idol' poursuivent sur cette voie, variant juste sur le tempo de titres résolument rock, aux mélodies instinctives et lumineuses, donnant l'envie irrépressible de reprendre le refrain de bon cœur en battant la mesure. Fin d'une première face plutôt réussie où le groupe fait la démonstration d'une puissance contenue à bon escient.
Les titres de la deuxième face sont plus hétéroclites et, bien qu'aucun ne soit vraiment désagréable, ne font pas preuve de la même énergie maîtrisée. 'The Thin End Of The Wedge' dégage une mélancolie inquiète aux relents de décadence absente du disque jusqu'à présent, alors que 'Fresh Fruit', aux antipodes par sa décontraction souriante, fait très rock'n'roll des années 60, mélange de Chuck Berry, des Chaussettes Noires et des Beatles, période "Love Me Do". Seul 'New Lamps For Old' renoue avec l'excellence de la première face : l'orgue Hammond retrouvé, les volutes de piano, un Brooker crooner juste ce qu'il faut, on revient au côté charmeur du groupe.
Procol Harum produit pour la seconde fois consécutive un album d'une grande intensité, sans temps mort et où, même ce qui tient lieu de ventre mou se révèle finalement digne d'intérêt. Mieux, il arrive à se renouveler sans se renier, exercice oh combien périlleux. Si 'Exotic Birds And Fruit' ne reproduit pas le miracle d'émotions de titres tels que 'Grand Hotel', 'For Liquorice John' ou 'Fires', il n'en demeure pas moins un disque d'une haute teneur.