1973. Pour suivre l'engouement du public suscité par des projets tels que Tommy ou Jésus-Christ Superstar, sort en France le premier rock opéra baptisé "La Révolution Française". Rock opéra ? Aujourd'hui, nous dirions plutôt comédie musicale et le succès de "Notre-Dame de Paris", "Les Dix Commandements" et autres "Roméo et Juliette" prouve à quel point l'intérêt pour ce genre musical est encore vif. L'ancêtre de ces spectacles usait déjà des mêmes ficelles : raconter une histoire en une vingtaine de tableaux faisant intervenir de nombreux protagonistes, mélanger numéros solo et chœurs, bluettes et titres plus heavy, utiliser des thèmes récurrents qui permettent de s'ancrer plus facilement dans les mémoires.
Sur un livret d'Alain Boublil et Jean-Marc Rivière, la musique est l'œuvre de Raymond Jeannot et Claude-Michel Schönberg, créateur l'année suivante du tube romantique 'Le Premier Pas' et qui, outre la composition, interprète un Louis XVI bouleversant d'humanité. Car l'une des forces de "La Révolution Française", qui narre les soubresauts qui agitèrent la France de l'ouverture des Etats Généraux le 05 mai 1789 à la période sombre de la terreur, est de nous faire revivre les instants clés de cette période dans un condensé d'histoire fidèle et de cerner en trois vers le caractère de chaque personnage, sans paraître caricatural.
Sur le plan musical, l'œuvre est très diversifiée, alternant du rock pur et dur (les révolutionnaires, Fouquier-Tinville, Robespierre), du divertissement (Napoléon et Madame Sans-Gêne, Talleyrand, Marat), de la variété française romantique (Charles Gauthier, Louis XVI, Marie-Antoinette) et de la comédie musicale dans toute sa splendeur (Les Etats Généraux, A Versailles, Ca Ira). On passe ainsi du frisson de la grande histoire au tragique de l'histoire d'amour entre deux protagonistes fictifs (Charles Gauthier et Isabelle de Montmorency), avec quelques moments de légèreté où l'intérêt musical cède brièvement le pas à l'humour.
Le casting mélange artistes confirmés et stars en devenir : ainsi, aux côtés des déjà célèbres Martin Circus (les révolutionnaires), Antoine qui campe un inénarrable Napoléon, Gérard Rinaldi et Les Charlots en Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord et en chœurs religieux à faire pâlir d'envie Les Prètres, ou Jean-François Michaël ('Adieu Jolie Candy') en chouan décidé, on découvre pour la première fois ou presque, outre le déjà cité Claude-Michel Schönberg en un convaincant Louis XVI, un inquiétant Robespierre en la personne d'Alain Baschung, un Fouquier-Tinville haineux admirablement interprété par Jean Schulteis bien avant 'Confidence Pour Confidence' et un émouvant Charles Gauthier incarné par Jean-Pierre Savelli, le futur Peter de Peter et Sloane ('Besoin De Rien, Envie De Toi'). N'oublions pas un groupe au nom imprononçable, Système Crapoutchick, qui, outre son interprétation de la noblesse et de la terreur, tient le rôle d'orchestre sur la plupart des titres, et dont le claviériste deviendra célèbre sous le nom d'Alain Chamfort, ni la participation de Daniel Balavoine alors totalement inconnu en tant que choriste.
Si, sur le papier, le mélange paraît improbable, sur disque il fonctionne admirablement bien. Les morceaux s'enchainent sans temps mort et l'alternance de romances, chansons légères et morceaux de bravoure, tient l'auditeur en haleine d'un bout à l'autre de l'album. La musique est variée et entrainante et les textes intelligents rendent l'histoire vivante. Les dialogues, qui s'instaurent au fil des morceaux entre les personnages et le recours fréquents aux chœurs, confèrent un dynamisme qui ne se dément pas jusqu'au dernier titre. Enfin, les mélodies rentrent facilement en tête et l'on se surprend à les fredonner avec entrain à tout propos.
En dépit de toutes ses qualités, "La Révolution Française" ne rencontra pas le succès qu'elle méritait, probablement victime d'un statut bâtard : trop française à l'époque pour être crédible en opéra rock, trop rock pour attirer le public français friand de variétés plus consensuelles. Si vous avez loupé le coche, ou si vous étiez trop jeune, vous avez droit à une session de rattrapage : l'opéra devrait être remonté en 2012 (à ne pas confondre avec l'autre comédie musicale de 2012 "1789: Les Amants De La Révolution" au thème étrangement similaire). En attendant de réserver vos places, je ne peux que vous conseiller de vous procurer l'œuvre originale. Un agréable moyen de prendre un cours d'histoire en chansons.