Il semble de bon ton, quand on s'attaque aux chroniques de la discographie de Procol Harum, de vouer aux gémonies cet album, regrettant la pauvreté de ses mélodies et considérant qu'il s'agit là du chant du cygne d'un groupe has been qui n'a plus rien à dire. Et pourtant, si "Procol's Ninth" ne révolutionne pas le monde du rock, il possède un certain nombre d'atouts qui en font un album bien plus honorable que ce que l'on a bien voulu en écrire.
Que lui reproche-t-on exactement ? Tout d'abord, de ne plus sonner Procol Harum et d'avoir troquer ses chaleureuses tonalités baroques pour des arrangements pseudo-modernes gorgés de cuivres. Au rang des accusés, le duo de producteurs Leiber et Stoller qui a remplacé Chris Thomas aux manettes sur les cinq derniers albums. Ceux-ci sont soupçonnés d'être meilleurs compositeurs que producteurs et de donner au groupe un son trop pop. Ensuite, d'avoir abandonné l'orgue Hammond au profit du synthétiseur. Enfin, de connaître une panne d'inspiration dont la preuve la plus évidente serait le recours pour la première fois à la reprise de deux titres.
Bien sûr, tout n'est pas faux. Les nostalgiques des sonorités ouatées du premier album n'y trouveront pas leur compte et les chorus de cuivres s'invitent sur plusieurs titres. Mais, quelle que soit la beauté de 'A Whiter Shade Of Pale', il est heureux que Procol Harum ait cherché à évoluer et à moderniser ses compositions. La remarque vaut pour le remplacement de l'orgue Hammond par le synthétiseur (et Dieu sait que j'aime le son de l'orgue Hammond). On peut évoluer sans se renier. Procol Harum ne donne pas dans la pop gentillette ou dans le disco, qui commence à pointer son nez. Il reste fidèle à ses origines rhythm'n'blues auxquelles il rajoute un discret soupçon de hard-rock. Les cuivres ne noient pas les compositions dans une écœurante mélasse, ils contribuent à enrichir et à diversifier les titres, de même que les passages de flûte ou de cornemuse.
Reste l'accusation de panne d'inspiration. En fait, derrière ce reproche se cache surtout la déception provoquée par l'orientation prise par le groupe, qui délaisse le classicisme magnifié sur "Grand Hotel" pour un rock plus immédiat. En cela, "Procol's Ninth" ne fait que suivre les traces de son prédécesseur, "Exotic Birds And Fruit", avec peut-être même plus de réussite : l'album ne recèle que des bons titres, des "agréables mais sans plus" 'The Unquiet Zone' et 'Typewriter Torment' au solennel 'The Piper's Tune', en passant par une ribambelle de chansons entrainantes ou addictives ('Pandora's Box', 'Fool's Gold', 'Taking The Time', 'The Final Thrust', 'Without A Doubt'). Quant aux reprises, il n'y a pas lieu de s'en émouvoir, ni en bien, ni en mal. La version de 'Eight Days A Week' n'apporte rien à celle des Beatles mais s'écoute sans grincement de dents.
"Procol's Ninth" mérite d'être réhabilité. Il est loin de l'album médiocre et bâclé souvent décrit et contient au contraire des titres solides et mélodieux interprétés par des musiciens au sommet de leur art. Le piano de Gary Brooker est toujours aussi voluptueux, sa voix aussi chaude, et B.J.Wilson étonne comme à son habitude par la légèreté et le dynamisme de ses interventions. Un album de rock simple mais riche.