En à peine 10 ans de carrière, Kreator a réussi un parcours parfait, proposant cinq disques de grande qualité et définissant le son thrash européen. "Coma Of Souls" était l'apothéose de ce parcours en proposant la synthèse parfaite de ce que ce courant musical pouvait donner de meilleur. A présent, le groupe allemand est face à un défi: il lui faut éviter de stagner. Il lui serait facile de continuer à proposer le même genre de morceaux, mais Mille Petrozza et sa bande ne sont pas de cette espèce là. Ainsi "Renewal", qui arrive en 1992, va voir Kreator évoluer d'une manière stupéfiante et radicale.
Déjà la pochette de l'album, à la fois sombre, étrange et mystérieuse, est un élément fort: le groupe sort complètement de son imagerie habituelle et il va faire de même musicalement en explorant des pistes jusque là encore inconnues pour lui. Car loin de se calmer, à l'image d'un Metallica ou d'un Testament à la même époque, le groupe va radicaliser son propos avec un disque noir, méchant, brut de décoffrage, à la fois martial et emprunt d'un désespoir que Mille nous fait partager à chaque instant. Ce dernier fait d'ailleurs fortement évoluer son chant en laissant de côté ses hurlements pour un chant criard proche du hardcore. Le thrash est quasi entièrement mis de côté pour un métal glacial, proche de l'industriel et très difficile d'accès mais d'une force rare. On sent à chaque instant la colère, un peu comme si, après avoir tenté de faire bouger les choses, Mille et sa bande avaient compris à quel point cela était vain et engendrait une haine tenace.
Il faut ainsi un réel effort pour comprendre et rentrer dans cet album qui finit par se laisser dompter doucement. Il est nécessaire de s'adapter à ces titres froids et d'une animosité rare, bien dans le style industriel avec un son de batterie très clinique et des riffs simplifiés au possible. En ouvrant l'album avec "Winter Martyrium" et "Renewal", les choses sont clairement fixées: les deux chansons enchainées ne laissent guère de répits à l'auditeur et prennent aux tripes tant elles sont d'une noirceur abyssale. Malgré un ton mid-tempo et des soli courts et mélodiques, c'est bien la sensation de malaise qui l'emporte. Avec ces deux chansons, Kreator prouve que son ouverture à d'autres styles est légitime tant il y excelle. Certes, tout cela est anti-commercial au possible et quasi-suicidaire, mais la démarche est d'une telle franchise qu'elle force le respect.
La suite confirme cet état de fait, car avec "Reflection", "Zero To None", "Depression Unrest" ainsi que le court et brutal instrumental "Realitatskontrolle", les sons martiaux et industriels se font la part belle, tandis que le hardcore est à l'honneur avec un "Brainseed" ultra-violent sur lequel Mille fait preuve d'une maitrise du genre assez phénoménale, bien loin de ses hurlements thrash. Avec "Karmic Wheel", le groupe calme un peu le jeu mais reste sombre au possible avec une ambiance lente et lourde, grâce à un break de guitare très atmosphérique, quasi gothique dans l'esprit et très glauque, notamment par le chant posé mais rempli de haine. En fait, pour les pauvres âmes perdues, seul "Europe After The Rain" retrouve l'esprit thrash, même s'il faudra passer encore par un chant hurlé et possédé.
Album âpre et rugueux, "Renewal" n'est pas à mettre à la portée de toutes les oreilles. En s'éloignant ainsi du son qui a fait son succès et en prenant tout le monde par surprise, Kreator est certes en accord avec ses principes, mais il prend le risque considérable de se mettre fans et médias à dos. Seul l'avenir pourra dire si le culot paye encore. En attendant, il faut redécouvrir ce disque sale et méchant pour bien comprendre l'évolution de l'âme de Mille Petrozza et de Kreator.