Personne n'y croyait plus. Après 14 ans d'absence, Procol Harum sort un nouvel album. Mieux, il reconstitue presque le line up originel : les indéboulonnables Gary Brooker et Keith Reid sont toujours là, véritable épine dorsale du groupe. Mais "The Prodigal Stranger" voit aussi le grand retour de Robin Trower à la guitare et de Matthew Fisher derrière son orgue Hammond. Fisher avait quitté le groupe en 1969 après "A Salty Dog", et Trower deux ans plus tard à la fin de l'enregistrement de "Broken Barricades". Ne manquent à l'appel que le bassiste David Knights et surtout le prodigieux B.J. Wilson à la batterie, décédé en 1990 et seul membre avec Brooker et Reid à avoir officié sur tous les albums jusqu'à ce jour.
"The Prodigal Stranger" est un album équilibré qui ménage des passages mélodiques aux effluves classiques et d'autres plus rythmés et instinctifs, puisant aux racines du rock le plus binaire. Le groupe reste ainsi fidèle au style qui le caractérise et qu'il a perpétué sur tous ses albums. Le duo piano/orgue Hammond sévit sur plusieurs titres pour notre plus grand bonheur, réveillant dans nos mémoires assoupies les échos d'un certain 'A Whiter Shade Of Pale'. Comme à chaque fois, ce mélange de notes cristallines et de sonorités brumeuses et nostalgiques dégage romantisme et douceur, chatouillant agréablement nos émotions profondément enfouies. Mais il serait injuste de ne pas parler de l'excellent travail fourni par la rythmique parfaitement mise en valeur par la qualité de la production. Si la guitare est plutôt discrète, elle n'en délivre pas moins à bon escient quelques solos bien sentis, privilégiant la sensibilité à la technicité pure. Seul l'intervention répétée de chœurs à l'influence Gospel semble quelque peu inopportune, nuisant aux morceaux plus qu'elle ne les enrichit.
Parmi les douze titres, nous retiendrons '(You Can't) Turn Back The Page', le slow dans toute sa splendeur, de facture classique mais oh combien efficace, 'The King Of Hearts', digne des plus grands titres du groupe, brassant moments de calme et vagues d'amertume qui se brisent en écume de notes, 'Our Dreams Are Sold', dynamiquement dominé par le trio guitare/basse/batterie, 'Perpetual Motion', sur lequel l'orgue Hammond entonne une mélodie liturgique, et 'The Pursuit Of Happiness', quintessence de l'art procolarien où piano et orgue tissent des arabesques élégantes drapées d'une orchestration intelligente.
S'il n'y a pas de mauvaise surprise, comme c'est hélas trop souvent le cas lorsque des grands groupes se décident, pour des raisons diverses et variées, à reprendre le chemin des studios, il ne faut pas non plus surestimer le pouvoir de séduction de ce disque. Ce n'est pas l'album de trop, ce n'est pas non plus l'album qui faisait défaut à la discographie du groupe. C'est tout simplement un disque équilibré, sans prétention, qui s'écoute avec plaisir entre titres plus ou moins réussis.