Si personne n'a jamais cherché à contester à Jeff Waters son statut de leader d'Annihilator, groupe qu'il a du reste lui-même fondé, celui-ci a pu, au moins au début de sa carrière, être perçu comme un groupe en tant que tel. En 1997, ce n'est plus vraiment le cas puisque le Canadien a peu à peu fait le vide autour de lui, tout d'abord en limogeant son personnel plus vite qu'une PME, puis en ne conservant que le batteur Randy Black pour finir enfin seul, un temps du moins, celui de Remains. Depuis King Of The Kill, l'homme multiplie les fonctions, de la guitare à la basse, du chant à la production, seule la batterie lui échappant. Sans doute influencé par le Metal indus qui a alors le vent en poupe, il décide de recourir aux samples et à la programmation, ce qui lui offre la possibilité de faire sauter le dernier verrou qu'il ne maîtrise pas.
Ce sixième album nait de, et dans, ce contexte qui voit Annihilator se confondre totalement dans la personne du seul Jeff Waters. De fait, Remains est-il réellement un disque du 'groupe' ou bien un effort solo de son leader et alors unique membre ? La réponse se trouve quelque part entre les deux en cela que la signature du guitariste reste indélébile, à l'image de ce mur rythmique qu'il dresse à la manière de Blockhaus mais qu'il combine cette fois-ci à une armature moderne aux relents industriels, pour un résultat mitigé sinon incompris. Bien qu'ils ne lui ont pas permis de renouer avec le succès de la fin des années 80, au moins sur le sol américain car en Europe et au Japon, ils ont plutôt relativement bien marché, il aurait été naturel pour Waters de continuer sur la lancée de King Of The Kill et de Refresh The Demon et ce, d'autant plus que la paire qu'il forme alors avec Randy Black parait fonctionner.
Au lieu de cela, et avec une certaine audace, il bricole ce Remains étonnant dans sa modernité. Mal aimé, il mérite d'être franchement redécouvert car, à bien l'écouter, il se révèle être une pure tuerie dont les titres se glissent aisément entre les cartouches extraites de Alice In Hell ou Never, Nerverland. La soif d'expérimentation qui tenaille Waters ne lui a pas limé les griffes, bien au contraire. Et le bonhomme de mouliner quelques unes des compositions les plus intenses de son répertoire, rien de moins.
Il faut être sourd pour ne pas reconnaître à cet opus des qualités incontestables qui font de lui une excellente pioche au sein de la discographie d'Annihilator. Malgré leurs atours indus surprenants, des titres de l'acabit de "Sexecution", "No Love" ou "Murder", qui nous introduisent dans ce programme d'une efficacité nucléaire, ont (presque) des allures d'hymnes irrésistibles. En fait, Remains souffre surtout d'un ventre mou, qu'incarne l'enchaînement de "Never", "Human Remains" et "Dead Wrong", morceaux les plus faibles du lot. Car après, le disque amorce un final des plus jouissif, entre la fausse et survoltée ballade "Wind", que Jeff émaille de ses attaques dont il a le secret, le rapide "I Want" qui, enrobé d'autres arrangements, n'aurait pas dépareillé au milieu de Alice In Hell, sans oublier "Reaction" où le chanteur se glisse dans les pompes (vocales) de James Hetfield, et "Bastiage", instrumental terminal de toute beauté.
Réussite artistique (pourquoi pas ?) mais cuisant échec commercial qui enfoncera encore davantage Annihilator dans les limbes de la production métallique, Remains obligera finalement le Canadien, conscient sans doute que ses errances indus ne correspondent ni à ce que ses fans ont envie d'entendre, ni à ce que Roadrunner attend de lui, à regarder dans le rétroviseur du passé, ce qui débouchera sur un Criteria For A Black Widow pourtant bien moins inspiré...