Jeremy Spencer fait partie de ces artistes qui ont été, et resteront, des seconds couteaux du Rock. Après avoir quitté le groupe Fleetwood Mac en 1971, les quelques albums qu'il aura sorti n'auront connu qu'un petit succès, que cela soit sous son nom ou celui de The Children Of God, sorte de secte qu'il rejoint dans les années 70. Multipliant les concerts de charité pour les enfants d'Inde dans les années 90, il va ensuite s'écarter de la musique pour se pencher sur l'écriture de nouvelles et sur l'illustration (la pochette, c'est de lui). En 2006, il revient à la musique par la voie du Blues avec "Precious Little". Et l'expérience semble lui avoir plu puisque qu'il répète la pirouette en 2012, dans le Michigan, où il met en boite ce "Bend In The Road". Alors, le filon du Blues est-il un bon moyen pour le baroudeur de renflouer ses caisses ou simplement l'expression d'une véritable passion artistique ?
Il semble évident à l'écoute de cet album qu'une telle sincérité dans l'interprétation ne peut que témoigner en faveur de la passion artistique. Avec une voix toujours aussi reconnaissable, bien qu'exclusivement adaptée au Blues-Rock, et dont les dérapages ne font qu'ajouter au charme du bazar, et un jeu de guitare toujours rehaussé d'un slide qui en a fait sa marque de fabrique, Spencer nous compte son amour pour le voyage, du bien nommé et languissant 'Homesick' au superbe 'Bend In The Road' final, titre universel qui dans le rayon des sentiments ne tacherait pas au côté du 'Country Road' de John Denver.
Chaque titre nous emmène avec lui autour du monde, vers le soleil ('Cry For Me Baby' et son piano-bar, l'inspiré 'Homework'), les collines pluvieuses de son Angleterre natale (les superbes instrumentaux 'Desired Haven' et 'Whipsering Fields' évoquant un Notting Hillbillies) et d'autres et nombreuses routes solitaires avec le nostalgique 'Walked A Mile', un très touchant 'Aphrodite' qui voit Jeremy décocher les meilleurs accords de l'album, ou le délicat 'Come To Me' orné d'un violon pas plan-plan pour deux sous. L'interprétation sans faille et gorgée de feeling rappelle parfois, avec un son bien meilleur, la grande époque des Creedence Clearwater Revival, le Rock n' Roll 'Earthquake' en tête.
Quand le groupe modernise un peu le propos, c'est pour taper dans les Sweet 70's avec 'Stranger Blues', gavé de clavier à la Ten Years After et au groove intact ou l'hymnesque 'Refugees', emporté par un piano inspiré, étrange mélange entre un le côté épique d'un Supertramp et la magique simplicité d'un George Harrison.
Point ici d'élucubration musicale ni de tentative de décrocher à tout prix un passage radio, juste une bonne tranche d'un Blues-Folk-Rock décliné sous plusieurs costumes et époques, avec en fil rouge un talent et une couleur laissant "Bend In The Road" surnager dans la masse des productions Blues actuelles. Délicat et passionné, définitivement. Ne plongez pas la main plus profond en espérant trouver dans les bacs quelque chose de plus original ou précieux, le sésame est là !