Il y a quelques années de cela, Arjen Anthony Lucassen, qui a fait plusieurs fois appel à elle pour Ayreon, regrettait que Anneke van Giersbergen perde son temps et son talent au sein d'un groupe tel que The Gathering dont il estimait qu'il n'était pas à la hauteur de la voix exceptionnelle de sa chanteuse. La trajectoire que suivent désormais séparément Anneke et son ancien employeur semble vouloir lui donner raison, la première multipliant avec succès les projets sous son nom, ou celui de Agua De Annique, et les collaborations diverses, quand l'activité du second se limite à un seul album depuis 2009, sans compter toutefois le EP City From Above, complément de The West Pole.
De fait, et nonobstant une inspiration toujours intacte sur laquelle nous allons revenir, il n'en demeure pas moins vrai que The Gathering, s'il peut compter sur une fan-base fidèle, peine à conserver l'aura qui fut la sienne entre 1995 et 2006. Pourtant, le premier opus post-Anneke était une incontestable réussite qui voyait ses auteurs continuer à travailler, à façonner leur art grâce à une nouvelle recrue de choix, Silje Wergeland que les deux offrandes d'Octavia Sperati, Winter Enclosure puis Grace Submerged, nous avaient déjà fait connaître. Son mimétisme vocal a pu à la fois rassurer comme décevoir ceux qui auraient préféré un changement radical auquel les Hollandais se sont refusés. Gravé trois ans plus tard, qu'en est-il de Disclosure, dixième album très attendu ? Serait-il d'une veine identique au titre "Heroes For Ghosts", single éblouissant dévoilé il y a de longs mois déjà ?
Comme souvent avec The Gathering, l'œuvre affiche une simplicité trompeuse qui nécessite de nombreuses et attentives écoutes pour la gommer. Fait plus étonnant en revanche, est le choix de placer en ouverture les deux titres peut-être les moins réussis mais au demeurant agréables, lesquels, toutefois, permettent au menu de gagner peu à peu en intensité. Malgré le chant puissant de la Norvégienne, "Paper Waves" ne peut cacher sa banalité cependant que "Meldown" est inégal, quoiqu'intéressant en cela qu'il donne l'impression de partir dans plusieurs directions à la fois, mêlant chant féminin et masculin (celui du claviériste Frank Boeijen), touches électroniques et notes de trompettes, pour un résultat qu'on croit tout d'abord raté mais qui finit au bout du compte par démontrer de vraies qualités.
Toutefois, c'est bien à partir de "Paralized" que Disclosure prend son envol vers les couleurs atmosphériques de How To Measure A Planet ?, le chef-d'œuvre du groupe dont il n'est alors pas loin de tutoyer la réussite. Très beau, ce titre prépare à l'élévation incarnée par "Heroes For Ghosts" dans une version plus courte de quelques secondes. Apogée de l'écoute, cette piste longue de plus de dix minutes est aussi celle où les lignes vocales de Silje se confondent le plus avec celles d'Anneke de manière troublante, ce qui explique peut-être l'effet qu'il suscite chez l'auditeur qui regrettera toujours le départ de la Néerlandaise. Proche dans sa progression et sa noirceur crépusculaire de "Black Light District", le morceau démarre doucement avant de dérouler un pont instrumental d'une beauté émotionnelle à vous donner des frissons, entre la batterie hypnotique de Hans Rutten et cette trompette déchirante.
Encadré par les deux volets du diptyque "Gemini", perles stratosphériques portées par le charme de la Norvégienne, "Missing Seasons", respiration désenchantée d'une sobriété touchante, et plus encore "I Can See Your Miles" animent une seconde moitié d'album plus homogène. Ce dernier titre se révèle être le second Everest sur lequel Disclosure peut compter pour conforter son statut de grand disque. Il s'agit aussi du morceau le plus audacieux, traversé par de multiples ambiances. Basse généreuse, lignes de violon magnifiques, sons électroniques et roulement de batterie fusionnent pour décoller très haut vers les étoiles.
En dépit de quelques menues réserves (chant masculin hésitant sur "Meltdown", entame mollassonne), Disclosure confirme que The Gathering demeure toujours ce groupe précieux. Celui-ci livre un disque plus conforme aux attentes car plus proche de How To Measure A Planet ?, œuvre matricielle au sein de sa carrière, que de The West Pole. Mais, alors que cela fait déjà quatre ans qu'elle accompagne les Bataves, Silje ne parvient toujours pas à faire oublier sa devancière. Ce n'est pourtant pas faute de talent, mais tout simplement de charisme, la présence sucrée et espiègle de Anneke étant difficilement remplaçable...