Deux années après "Horrorwood Rocks ! 2", Traumatisme nous revient avec un album très surprenant. Surprenant et paradoxal ! En effet, bien qu’à l’écoute de ces deux disques on puisse globalement faire des constats assez similaires, les conséquences sont assez différentes. Le constat est toujours le même, Nicolas Tifagne a réalisé cet album tout seul. De la conception, à la réalisation, en passant par l’interprétation et la promotion, ce "Two Heads Are Better Than One" n’est qu’une excroissance, une extension issue du cerveau et des doigts de son géniteur unique. Ce, avec une absence de moyens dont le manque se fait cruellement sentir, notamment au niveau du son.
Mais le ressenti est différent, car là où le côté Glam-Rock de "Horrorwood Rocks ! 2" s’accommodait plutôt bien de cette ambiance 'garage', le côté bien plus ambitieux de "Two Heads Are Better Than One" nous confronte impitoyablement au fait que le génie sans moyen peine a s’épanouir et à s’exprimer. Car ce nouvel album s’éloigne des ambiances Glam de son devancier pour aborder des rivages plus variés et surtout plus travaillés. Nous sommes ici assez proche de l’esprit des albums qu’Alice Cooper a sorti à la fin des années 70 et au début des années 80, alors qu’il était sous l’emprise de la drogue et de l’alcool. Ce "Two Heads Are Better Than One", semble en effet posséder des connexions avec les albums "Goes To Hell", mais surtout "From The Inside" et "Dada", notamment dans sa dimension touche à tout et dans son approche de l’orchestration. Les thèmes abordés et leurs aspects 'exploration et cartographie' des troubles psychologiques, présentent également des parentés évidentes. Un titre de la trempe de "Bare Bones" pourrait d’ailleurs faire bonne figure sur un des albums précités.
Du fait de cette variété et de cette richesse musicale, l’objet est assez difficile à cerner. Moins gratuitement provocateurs que par le passé, les morceaux semblent avoir pour vocation de mieux traduire les ambiances et les émotions. Nous évoluons ainsi dans des univers qui semblent puiser leur inspiration aussi bien dans un Rock rugueux et énergique, que dans des comédies musicales, ou bien dans de la variété corrompue par l’adjonction d’éléments New Waves. L’hétéroclisme semblant être le mot d’ordre général. Difficile en effet de concilier le lugubre et oppressant "Glen Or Glenda", avec le sautillant et récursif "We Are What We Are", et le très dépouillé et sobre "Ghost Highway", dont certaines partie ne sont pas sans rappeler le "Hello" de Lionel Ritchie. Le liant à tous ces morceaux semblent être à trouver dans la qualité de l’écriture et dans le traitement du chant. Les voix sont en effet très compressées et sous-produites, sans que l’on puisse déterminer si c’est le fruit d’un choix délibéré ou la résultante d’un manque de moyens. De fait, le chant est clairement l’aspect le plus dérangeant de ce disque. Sous-mixé et affublé d’un écho caverneux, il flirte parfois avec les limites de l’audible. Très clairement, les amateurs d’un son épuré et clair, trouveront là toutes les raisons de fuir.
Mais lorsque l’on parvient (ou, si l’on parvient) à apprivoiser le chant, force est de constater qu’une fois de plus la qualité de la composition est toujours aussi présente ("He Wolf", "Prettiest Boy In The Morgue"…). Que ce soit au niveau des mélodies, des refrains ou des paroles, le disque est un foisonnement d’idées bien juteuses. A ce titre, les textes font preuve d’une richesse d’écriture et d’un humour d’autant plus étonnant qu’ils sont écrits en anglais. Il n’en reste pas moins que la pauvreté sonore de l’ensemble est un obstacle encore plus difficile à franchir que dans "Horrorwood Rocks ! 2". Le fond (excellent) est cruellement desservit par la forme (à la limite de l’indigence).
Et la même réflexion qu’il y a deux ans revient : le talent indéniable de Nicolas Tifagne trouverait peut-être bien mieux à s’exprimer au service des autres, plutôt qu’a se voir dévoyer par un manque de moyens. A l’image du rôle que Bob Ezrin occupait auprès d’Alice Cooper (producteur, compositeur, interprète, psychologue…), il y a mon sens quelque chose à explorer dans cette direction, à moins que le bonhomme soir un indécrottable loup solitaire. De même, des groupes de la mouvance Glam / Sleaze Rock auraient certainement beaucoup à gagner en faisant appel à ses talents de compositeurs et à sa créativité. Quoiqu’il en soit, et malgré d’énormes qualités, ce "Two Heads Are Better Than One" peinera à convaincre un public habitué à une production 'classique'.