La sortie de "Firefly" a certainement fait battre la chamade à bien des cœurs de fans de la première heure. En effet, le dixième album d'Uriah Heep acte un changement de line-up important : non seulement le groupe perd son bassiste, qui n'est autre que John Wetton, mais surtout se sépare de son chanteur, un peu trop porté sur la dive bouteille pour continuer l'aventure. Changer de chanteur n'est jamais simple pour un groupe. Si différencier le toucher de deux pianistes ou le jeu de deux guitaristes nécessite un minimum d'oreille, la voix est un élément bien plus distinctif et le commun des mortels a souvent assimilé le départ de chanteurs charismatiques comme sonnant le glas de la carrière de son groupe favori. Le risque est d'autant plus grand de voir un fan-base perdre ses repères que le chanteur possède un timbre caractéristique. Et David Byron n'est certes pas un chanteur passe-partout qu'on peut remplacer facilement.
Pourtant John Lawton qui assume cette lourde tâche fait mieux que limiter la casse. Intelligemment, il évite d'essayer de trop ressembler à son prédécesseur sans pour autant marquer une rupture trop nette. Son interprétation s'approche plus d'un style Hard-Rock teinté de blues, avec un mélange de puissance et de brusques saillies dans les aigus évoquant à plusieurs reprises Ian Gillan. Il s'affirme à l'aise dans ce registre, mettant une énergie communicative dans ses interventions. Côté basse, Trevor Bolder s'avère lui aussi impeccable, Uriah Heep réalisant finalement une mutation périlleuse sans bobo.
Car, une fois rassuré sur la capacité des nouveaux arrivants à assumer leur rôle, l'auditeur se tourne naturellement vers la qualité des compositions. Comme d'habitude, Ken Hensley en assure la quasi-totalité, contribuant à conserver à l'album une teinte heepienne. 'Who Needs Me' constitue l'exception, rock'n'roll simple mais jouissif à mettre au crédit du batteur Lee Kerslake, auquel fait écho 'Do You Know' qu'on jurerait issu d'un disque de Chuck Berry. Mick Box et Trevor Bolder s'y défoulent tour à tour pour notre plus grand plaisir. L'album affiche une belle diversité, avec des moments plus ou moins réussis : 'The Hanging Tree' est un Hard-Rock un peu facile mais qui constitue une bonne mise en bouche, 'Wise Man' en ballade romantique aux chœurs gospel manque de sensibilité pour être pleinement efficace, et 'Rollin' On' est un blues poussif dont on ne retiendra que le superbe pont atmosphérique à la guitare. 'Firefly', curieux mélange de Styx et Wishbone Ash, et 'Been Away Too Long' se révèlent plus contrastés et nécessitent plusieurs écoutes avant de dévoiler leur beauté, mais cela en vaut la peine. Enfin, 'Sympathy' surprend par sa ligne de basse galopante et les interventions pondérées mais magnifique de la guitare. Une mélodie western façon Eagles sur laquelle Lawton se lâche dans les aigus fort à propos.
Une fois digéré le choc causé par le changement de chanteur, "Firefly" offre un bon moment musical d'une grande variété. Les amateurs de Hard Rock light, de blues et d'AOR devraient facilement y trouver leur compte.