Comme nombre de groupes de sa génération aux racines identiques, Katatonia a beaucoup évolué depuis qu'il a vu la nuit en 1991, passant du Black/Doom sinistre de Dance Of December Souls au Metal mélancolique de Night Is The New Day. Mais là où d'autres ont fini par dénaturer leur identité, quand ils n'ont pas carrément renié leur passé (nous ne citerons aucun nom afin de ne froisser personne), les Suédois ont réussi la gageure d'évoluer, de mu(t)er en douceur, avec intelligence, en conservant leur personnalité, leur signature. On peut dater à 1999, et l'album Tonight's Decision, le début du glissement vers un art désormais moins extrême où le spleen s'exprime d'une manière différente, plus subtile sans doute mais avec non moins d'émotion, bien au contraire. Les disques suivants n'ont fait que peaufiner une évolution dont on peut penser qu'elle est maintenant achevée.
C'est la première impression qui s'impose lors des préliminaires précédant une écoute approfondie de Dead End Kings, successeur forcément très attendu de Night Is The New Day dont il s'avère assez proche. Les amateurs du dernier rang auront peut-être cru que l'explosion d'une partie du line-up entre 2009 et 2010, voyant partir les frères Normann dont le pilier Fredrik, guitariste du groupe depuis 1994, aurait des conséquences en terme d'écriture. Il n'en est bien entendu rien, l'âme de Katatonia ayant toujours reposé sur le chant de Jonas Renske (hormis sur Brave Murder Day et le EP Sounds Of Decay où c'est Mikael Akerfeldt qui grognent dans le micro) et les riffs entêtants de Anders "Blakkheim" Nyström. Sans vouloir minimiser le rôle des frangins démissionnaires qui en ont profité pour remettre en route October Tide, les musiciens qui secondent le binôme importent peu au final. Ce nouvel opus le prouve. Pourtant, vous lirez peut-être à son propos qu'il n'apporte rien de neuf, que ses compositions sont plates, que le duo formé par Jonas et la chanteuse Silje Wergeland (The Gathering), le temps de "The One You Are Looking For Is Not Here" reste inexploité, que les grands moments se font rares. Oubliez donc ces commentaires qui n'ont pas fait l'effort de pénétrer l'intimité de Dead End Kings, œuvre en tout point remarquable, le style reconnaissable entre mille de ses auteurs certes inscrit dans sa chair mais au canevas toujours extrêmement travaillé.
Fidèle à une structure dont les Suédois ne se départiront jamais, ces titres sont courts, ne dépassant pas les 5 minutes. C'est dire leur densité, chacun d'entre eux étant conçu à la manière d'un travail d'orfèvre, riche et minutieux. Si les compos au socle lourd sont celles qui ferrent tout de suite l'auditeur, à l'image de "The Parting", lequel témoigne encore une fois de cette capacité chez Katatonia a toujours bien démarré ses albums, petit frère des "For My Demons" (Tonight's Decision) ou "Ghost Of The Sun" (Viva Emptiness). Miné par les riffs de plomb de Blakkheim, "Building", "Hypnone" ou bien encore "Ambitions" sont par exemple du même tonneau.
Mais on aurait tort de les préférer à d'autres perles moins immédiates, moins accrocheuses car ne dévoilant leur trésor qu'après de multiples va-et-vient. On mesure alors que Dead End Kings n'est pas une simple ressucée de ses aînés. C'est par petites touches pointillistes et délicates que les Suédois enrichissent leur art, témoin le travail effectué sur les claviers, presque progressifs sur "Dead Letters", sombres et aux accents d'un Mellotron hanté sur "Lethean", par ailleurs entaillé de lignes de guitare d'une grande pureté de Nyström. Citons aussi l'étonnant "Leech", teinté d'atmosphères feutrées proche du Opeth le plus posé (certains passages de Watershed ne sont pas loin).
Pensé comme un tout équilibré, l'album ne souffre d'aucun remplissage. Même les plus faibles, tels que "The Racing Heart" ou "Undo You" sont sauvés par la voix irrésistible de Jonas Renkse, toujours impeccable. Katatonia n'a jamais déçu et ce n'est pas ce nouvel album, le neuvième déjà, qui contredira cette vérité.