"Conquest" est un cas d'école : c'est la preuve par l'exemple qu'il ne suffit pas d'avoir de bonnes chansons pour faire un bon album, encore faut-il les interpréter convenablement. Diable, direz-vous, quelle diatribe ! Uriah Heep n'est pas un groupe de nouveaux venus et semble avoir largement fait ses preuves par le passé. Alors pourquoi s'en prendre à lui aussi brutalement ? Reprenons par le commencement en nous intéressant d'abord aux compositions. Sur ce plan, pas de réelle surprise. Bon nombre de titres sont signés Hensley, seul ou avec Bolder et Box, gage d'une certaine continuité dans l'écriture. Pas de mélodie transcendante, pas non plus de vrai ratage, juste une collection de chansons dans la moyenne, au tempo généralement rapide, mélangeant funk, rhythm'n'blues et hard-rock. De quoi passer un agréable moment sans que ce soit impérissable. Le sentiment croissant d'exaspération que l'on ressent à l'écoute de cet album ne vient donc pas de là.
Poursuivons notre exploration en nous intéressant de plus près aux musiciens. Côté guitare et basse, tout va bien ! Mick Box et Trevor Bolder assurent, comme d'habitude, et provoquent de saines montées d'adrénaline par les solos de l'un et les lignes de basse de l'autre. A la batterie, un petit nouveau, Chris Slade, ex Manfred Mann's Earth Band et futur AC/DC, tient bien sa place, même s'il semble parfois se contenter du minimum syndical ('Won’t Have To Wait Too Long'). Il ne serait question d'adresser un reproche à Ken Hensley. Tout juste peut-on constater que ses claviers aux sonorités aujourd'hui fort datées se montrent parfois un peu trop envahissants ('Feelings', 'Carry On').
Il ne reste plus qu'un coupable potentiel : le chant. Les chœurs sont une marque de fabrique du groupe depuis l'origine, de même que leur inconstance. Par le passé, ils ont tantôt fait preuve d'excellence, mais aussi, il faut le reconnaître, parfois de médiocrité. Sur "Conquest", ils sont à la fois kitsch et peu assurés (le chorus sur 'Feelings' ressemble à s'y méprendre à Pia Zadora et Jermaine Jackson chantant 'When The Rain Begins To Fall') et finissent par donner une tournure variétoche américaine à l'album. Peut-être seraient-ils passés inaperçus si n'était venue se rajouter la surprenante prestation du nouveau chanteur, John Sloman. Celui-ci en fait des tonnes, part dans des vocalises ridicules, essayant vainement d'imiter Ian Gillan, se révélant incapable d'insuffler la moindre émotion. Il arrive à transformer de bonnes mélodies en soupe indigeste et c'est avec un réel soulagement qu'on entend Trevor Bolder, qui n'est pourtant pas un chanteur exceptionnel, interpréter 'It Ain't Easy' (l'histoire ne dit pas s'il s'adressait à Sloman).
Nombre de titres font penser à Queen par ce mélange de guitares tranchantes, de belle basse, de chœurs et de synthés. Pourtant il suffit d'écouter d'affilée "Conquest" et "Queen 1" pour comprendre ce qu'il faut faire et ce qu'il vaut mieux éviter. On aurait pu espérer meilleur album pour le dernier sur lequel figurera Ken Hensley. Fort heureusement, le groupe se séparera également de Sloman qui restera une incroyable erreur de casting dans leur longue histoire.