La liste des artistes s'étant plantés dans les grandes largeurs à l'occasion d'une réorientation musicale est un document bien fourni. Pourtant, en abandonnant son Hard-Rock racé pour un Blues gouleyant, Gary Moore a réussi son coup au-delà de ses espérances, que cela soit artistiquement, ou plus encore, commercialement. Même si le bonhomme n'est pas du style à se reposer sur ses lauriers, il n'est donc pas étonnant de le voir enfoncer le clou avec ce "After Hours", digne successeur de "Still Got The Blues", à commencer par la pochette reprenant les mêmes tonalités, même si le génial Irlandais y apparaît cette fois directement.
Décrire "After Hours" comme un simple petit frère de "Still Got The Blues" serait cependant injustement réducteur. Bien sûr, Gary Moore laboure toujours les terres d'un Blues-Rock profondément enraciné dans la tradition du genre, alternant les reprises de classiques et ses propres compositions. Il renouvelle également l'expérience des titres interprétés en compagnie de légendes telles qu'Albert King ("Don't You Lie To Me" de Tampa Red, et "The Blues Is Alright" de Little Milton) ou B.B. King ("Since I Met You Baby" d'Ivory Joe Hunter), cet exercice étant toujours l'occasion de déguster des duels guitaristiques de premier ordre permettant de constater les différences d'approche technique. Enfin, il dégaine toujours quelques ballades irrésistibles qui lui ouvriront probablement grandes les portes de la diffusion radiophonique et télévisée.
Pourtant, "After Hours" paraît plus abouti que son prédécesseur, même s'il y perd peut-être un peu en spontanéité. Les chœurs féminins et les cuivres sont plus prégnants et apportent plus de puissance et de profondeur à certains titres ("Cold Day In Hell", "Only Fool In Town"). Les reprises sont moins nombreuses, mais plus variées, avec en particulier le "Key To Love" de John Mayall d'une rapidité et d'une intensité qui laissent le souffle court. L'intervention de B.B. King est émouvante, sa grosse voix ferait presque passer Gary Moore pour un petit garçon et son enthousiasme est encore une fois rafraichissant. Au jeu des ballades, l'Irlandais est toujours aussi imparable, variant les plaisirs entre le classique et majestueux "Story Of The Blues" dont le feeling transpire de chaque note et chaque parole, le retour vers la douceur qui avait fait le succès de "Parisienne Walkways" avec "Separate Ways", dessinant une ambiance délicatement aérienne le temps du "Jumpin' At Shadows" de Duster Bennett, empruntant un mid-tempo le temps du mélancolique "The Hurt Inside", et déposant l'auditeur sur un léger nuage avec "Nothing's The Same" simplement interprété en chant et guitare avec une discrète section de cordes.
Mais ce qui fait que cet album est à nouveau indispensable, c'est encore la guitare de Gary. Alternant les envolées lumineuses, les saillies incendiaires, et les moments de délicatesse, c'est un nouveau tourbillon d'émotions qui nous emporte à des altitudes dans lesquelles nous perdons tout sens du temps et de la réalité, d'autant que le jeu du génie s'est encore étoffé de parties plus en retenue dignes des légendes du genre. Suite logique de "Still Got The Blues", "After Hours" est à considérer comme une confirmation plus qu'une capitalisation, et surtout, comme un moment de bonheur d'une intensité rare.