Mieux vaut tard que jamais. Au départ, un des groupes historiques de la chapelle Doom US, formé en 1973 par des membres de Pentagram, dont le batteur Geof O'Keefe et le chanteur Bobby Liebling, Bedemon disparait dans l'indifférence générale au milieu de la décennie suivante après n'avoir enfanté que d'une seule démo baptisée Invocation Of Doom. Ce maigre palmarès n'empêche pas les Américains d'être peu à peu considérés comme des légendes (méconnues) dans un genre où le mot culte a toute sa valeur. Peut-être inspiré par le retour à succès des Trouble, Candlemass et consorts, O'Keefe, le guitariste et bassiste Mike Matthews ainsi que le vocaliste Craig Junghandel acceptent, suivant l'idée du journaliste Perry Grason, de se reformer en 2001, résurrection enfin matérialisée par un premier album, ce Symphony Of Shadows que nous n'attendions plus vraiment.
A son écoute, et bien qu'il s'agisse apparemment de nouvelles compos, une certitude s'impose, et ce n'est pas une critique, seulement un constat : Bedemon est resté bloqué sur le Paranoid de Black Sabbath, imperméable à l'évolution que le Doom a connu lors de ses quarante années d'existence. De fait, ces morceaux, toutefois enrobés dans une production actuelle sans l'être trop, pourraient aussi bien avoir été écrits durant la première moitié des seventies que nous ne verrions (presque) pas la différence. Ce qui fera la joie des puristes, des tenants de l'orthodoxie pour lesquels le chant doit être celui d'un canard enrhumé et les riffs, simples et telluriques, et auxquels cet opus est avant tout destiné, mais que nous ne saurons trop conseillé à tous les fidèles de cette Sainte chapelle qui y trouveront une hostie miraculeuse bien supérieure à la fois au récent et pourtant impeccable Last Rites du frère spirituel Pentagram et à toutes les offrandes de Black Sabbath avec Ozzy derrière le micro, gravé à partir de Sabotage. Au bas mot !
Démarrant avec le Heavy "Saviour", Symphony Of Shadows gagne peu à peu en intensité pour culminer en une dernière partie d'une flamboyance noire avec les deux complaintes les plus longues que sont "Godless" et "Hopeless", toutes les deux prétextes à des câbles de guitares dignes de Tony Iommi et à des soli d'une déchirante beauté et suintant la mélancolie par tous les pores. Avant ces deux monuments de Classic Doom, on peut également relever la présence du (presque) rapide "Kill You Know" ou de "The Plague", respiration malsaine qui engourdit autant qu'elle envoûte.
Avec ce tardif galop d'essai, Bedemon ne déçoit pas, accouchant d'une pierre angulaire du Doom, à ranger aux côtés de Paranoid et Master Of Reality. Premier marqueur longue durée de sa discographie, souhaitons que Symphony Of Shadows ne soit pas également son testament. Ce serait dommage après une telle attente !