"Tambour Et Soleil" est l’album casse gueule par excellence. C’est la dernière ruade (en date) d’un cheval qui après avoir secoué son cavalier dans tous les sens, et lui avoir fait perdre tous ses sens, fait une nouvelle cabriole afin de le désarçonner totalement. Après avoir aligné plusieurs albums très déroutants pour les fans de la première heure, par leurs côtés expérimentaux et transgressifs au regard de leurs racines musicales, La Souris Déglinguée pousse le bouchon encore plus loin, en flirtant ouvertement avec la variété. Et contre toute attente le résultat est… magnifique.
Et pourtant ! Si son précédant album, "Banzaï", avait déjà largement de quoi dérouter les aficionados du muridé par ses accents 'rapisant', il conservait toutefois une rugosité et une sauvagerie qui préservait l’image non-conformiste du groupe. Avec "Tambour Et Soleil", il est totalement vain de chercher une quelconque trace de rage primaire ou de violence gratuite. Les loups peuvent se déchainer : le groupe à vendu son âme au diable. Mais Méphistophélès a du payer bien cher, et la transaction tourne clairement à l’avantage du groupe, car celui-ci nous pond un album tout en rondeur et en charme. Les rythmiques tranchées ont laissé place à des mélodies plus intimistes, plus accessibles. Le chant s’est considérablement adouci, flirtant même parfois avec le murmure. L’ensemble sonne apaisé, détendu, ensorceleur. Les influences et références asiatiques sont quasi omniprésentes et constituent l’ossature du disque avec 11 titres sur 13 qui sont directement connectés à l’Asie. Si l’on considère que les deux morceaux restants, et qui clôturent le disque, ont pour théâtre l’Europe de l’Est, il devient clair qu’il serait vain de chercher la moindre trace du bitume parisien dans ce disque. L’odeur des poubelles au petit matin s’efface au profit de senteurs plus épicées, et le culte de la camaraderie virile laisse place à des (encore timides) évocations de l’amour et de ses tourments.
S’il y a de quoi choquer les fans un peu figés dans le temps, il convient de reconnaître que la qualité des mélodies et la variété des ambiances musicales sont bien au rendez-vous, et que le groupe nous promène avec bonheur d’un Reggae, à un Rock, en passant par des ambiances World-Music et des incursions de plus en plus fréquentes vers la chanson française. En fusionnant le tout avec une maitrise impressionnante. Tout au plus pourrait-on reprocher le côté un peu convenu de "Cheval De Fer" et le décalage entre les paroles engagées de "Invisibles Drapeaux" et ses chœurs un peu gnian-gnian. Mais la beauté d’un "Tambour Et Soleil" (la chanson), qui combine douceur avec évocation de la cause Karen, ou bien de l’invitation au voyage que constitue "Demoiselles De Vientiane", suffisent à balayer toute velléité d’accoler le terme variété (dans son acceptation putassière) à L.S.D.. Si cela ne suffisait pas, l’énergie de "Romania’ 94" et son mémorable 'Vodka en Tetrapack', ou bien "Cousins, Cousines" et son intro à la Benny Hill, devraient convaincre les incrédules que si le groupe a évolué, il n’en a pas moins conservé une qualité d’écriture et une efficacité redoutable.
Très déroutant et sujet à polémique (comme ses 2 prédécesseurs), "Tambour Et Soleil" n’en demeure pas moins un album majeur de La Souris, et la preuve que le groupe possède un potentiel de renouvellement et d’innovation sans limite. Seule réelle déception, une pochette qui ne reflète pas vraiment le charme de ce disque. Si "Banzaï" nous avait fait l’effet d’un uppercut du droit, "Tambour Et Soleil" s’apparente plutôt à une caresse de la main gauche, celle qui est directement irriguée par le cœur. Quoi qu’il en soit, ces 2 albums nous apportant la preuve que La Souris Déglinguée est bien un groupe ambidextre. Tout autant boxeur que danseuse.