Si vous avez découvert l'univers fantasmagorique de Lacrimosa au travers de ses œuvres les plus classiques, telles "Fassade" ou "Echos", la première écoute de "Revolution" risque fort de vous déstabiliser. En effet, le gothique classique cher au groupe a laissé place à un gothique bien plus métal où les allusions au divin Mozart sont bien moins discernables que sur les précédents opus. Déjà, "Lichtgestalt" puis "Sehnsucht" avaient connu un infléchissement vers une musique plus abrupte, crue, immédiate et violente. Le recours aux orchestres symphoniques se réduisait au fil des disques tel la peau de chagrin, servant de plus en plus d'écrins luxueux aux guitares et batteries prédominantes. Peut-être afin de consommer définitivement la rupture avec une époque désormais révolue, Lacrimosa a fait appel aux services de deux musiciens bien connus des métalleux : le guitariste Mille Petrozza de Kreator, dont le chemin a déjà croisé celui de Tilo Wolff en 1999 lorsque celui-ci a endossé le rôle de guest singer sur "Endorama", et le batteur Stefan Schwarzmann d'Accept. Dire que leur présence sur cet album ne passe pas inaperçue relève de la litote.
Car les premiers titres nous enfouissent littéralement sous un déluge de décibels furieux à grand renfort de riffs de guitare saturée et de coups de boutoir de la batterie, emportant tout sur leur passage. Si la voix toujours aussi caractéristique de Tilo Wolff passe aisément, les claviers ont bien du mal à émerger de ce magma bouillonnant. Néanmoins, la prise de son réussit le tour de force de capter les nuances du piano ou des synthés au milieu de cette débauche sonore.
L'album a cependant tendance à s'apaiser au fil du temps. Après l'artillerie lourde des trois premiers titres, 'This Is The Night', bien qu'encore très énergique, introduit des effets d'échos vocaux et une musique jouant davantage sur le contraste entre métal pesant et romantisme noir dépouillé. 'Interlude - Feuerzug (Part I)' est une courte respiration classique avec un très beau solo de piano, et 'Refugium' oublie lui aussi guitare et batterie pour laisser les claviers et la voix de Tilo emplir l'espace. Enfin, le long 'Rote Sinfonie' renoue avec l'univers néo-classique du groupe, alternant orchestration de cordes synthétiques, guitares furieuses et breaks lumineux de douceur, presque religieux, qui réconcilieront les fans d'"Echos" ou de "Fassade". 'Revolution' clôt l'album en revenant au métal lourd du début, se souciant moins de la mélodie que de la violence, avec une guitare saturée, une batterie très agressive et un chant rocailleux et mécanique à la limite des voix death.
Une fois digéré le côté rugueux de ce disque, le fan de base de Lacrimosa retrouvera ses repères notamment la voix profonde de Tilo, tantôt chuintante comme une goule, tantôt poignante de désespoir, et les mouvements mélodiques évoquant autant de danses endiablées. Anne Nurmi y va de sa chansonnette à la Mylène Farmer, symbole de fragilité féminine façon 'Je suis libertine' sur une musique déchainée quasi-militaire. Sa présence se fait cependant bien plus discrète que par le passé, ne s'associant aux chœurs que le temps de deux autres titres. Bien qu'il ait durci le ton, Lacrimosa a l'art de construire des mélodies accrocheuses, mélangeant poésie, tristesse, violence et créant un climat sombre et tourmenté qui ne laisse pas indifférent. Au final, encore un bien bel album à mettre à son crédit.