Les années 90 ressemblent décidément de plus en plus à un chemin de croix pour celui qui était devenu en peu de temps un grand du thrash germanique. En deux albums, l'un trop en avance sur son temps et l'autre trop maladroit, Kreator a perdu de son aura. Malgré tout, Petrozza ne perd pas la foi et "Outcast", 8ème album du groupe, arrive à peine deux ans après "Cause For Conflict". Mais l'horizon semble s'éclaircir puisque Ventor a repris son poste à la batterie et surtout, l'arrivée de Tommy Vetterli, le formidable guitariste de Coroner, ouvre de nouvelles perspectives au gang allemand.
Et de fait, "Outcast" va voir Kreator franchir un palier. Son message a été entendu: le label le laisse travailler et, à l'image de la magnifique pochette, à la fois sombre et lumineuse, on assiste à la naissance d'un Kreator nouveau et sûr de lui. Le thrash des origines est enrichi d'influences heavy gothiques, pas loin d'un Paradise Lost, le tout avec quelques influences industrielles, discrètes mais efficaces. La mélodie reprend aussi toute sa place au cœur des compositions alors que Mille s'arrache toujours le gosier mais laisse plus souvent la place à du véritable chant. L'apport mélodique et technique de Vetterli est aussi indéniable avec ce côté sombre et tranchant qui fait la force de nombres de riffs. De plus, la basse de Christian Giesler est omniprésente, contribuant à donner au disque une couleur sombre et mélancolique.
Il en résulte un excellent disque, première étape de la transformation de la chrysalide en papillon avec son lot d'excellents titres taillés pour la scène avec des refrains instantanés, des mélodies prenantes pour un résultat sombre et glacial ne gardant du thrash que les meilleurs aspects pour les transcender. Ainsi, avec "Leave This World Behind" et "Phobia", Kreator nous balance deux grands titres, parmi les meilleurs de sa carrière et appelés à rester assez longtemps au programme des concerts du groupe. Ensuite, il y a ces pépites sombres, mélodiques et proches du gothique: avec "Black Sunrise", "Outcast" et "Enemy Unseen", il crée l'embryon d'un thrash gothique, comme le chainon manquant entre sa musique et celle pratiquée en Grande-Bretagne depuis la fin des années 80. Mille est quasi méconnaissable tant il maitrise parfaitement son chant, se faisant calme et posé, particulièrement sur un "Black Sunrise" qui colle le frisson tant il est noir et mélancolique. Enfin, avec "Whatever It May Take", le groupe fait ressortir ses influences industrielles, revenant un peu dans le son de "Renewal" avec notamment un refrain très martial, à la fois glacial et scandé et très efficace, ainsi que des vocaux robotisés surprenants mais bien intégrés.
On pourra reprocher quelques redondances avec des chansons construites sur le même moule sur la fin, mais on sent que Petrozza et ses hommes construisent quelque chose de nouveau, et finalement, on passe outre ce détail et on écoute avec plaisir et un certain goût de la découverte, "Alive Again", "Ruin Of Life" ou encore "Stronger Than Before" et "A Better Tomorrow". Sombre et prenant "Outcast" est une divine surprise de la part d'un Kreator que l'on pensait un peu perdu pour la cause. En osant se remettre complètement en question, le groupe allemand gagne une maturité artistique impressionnante et lance une nouvelle aventure musicale qui s'annonce passionnante et qu'il ne faudra rater sous aucun prétexte. Bien sûr, les amateurs de thrash pur et dur seront surpris, mais une telle intelligence musicale mérite tout notre respect.