Quand bien même ses auteurs ont toujours pris leur temps (trois années séparent généralement chacune de leurs créations), il se sera fait désirer ce nouvel et sixième opus de Sigur Rós puisque son aîné remonte déjà à quatre ans. Néanmoins, entre rumeur de séparation, divergences musicales et désir d'émancipation (cf. l'album Go de Jónsi), les Islandais nous avaient prévenu que s'ils devaient offrir à Með suð í eyrum við spilum endalaust, un successeur, l'accouchement de celui-ci serait long. Ils n'avaient donc pas menti.
C'est pourquoi Valtari a des allures d'œuvre miraculée qui aurait bien pu ne jamais voir le jour. Devenu, au même titre que Radiohead ou Archive, une figure tutélaire du (Post) Rock atmosphérique, et pillé jusqu'à l'indigestion pour des palettes entières de suiveurs, Sigur Rós a eu raison de faire murir ses nouvelles compositions qui, une fois de plus, renvoient à leurs chères études tous ces clones se réclamant d'un style en réalité tellement personnel que seuls ses géniteurs sont à même de l'honorer, ne serait-ce déjà - et surtout - pour le chant de Jónsi, ce fragile falsetto maintes fois imité, (forcément) jamais égalé.
D'après le groupe, le processus de composition a été compliqué, débutant à la fin de l'année 2009 à partir de vieux titres restés à l'état d'ébauche. Le groupe hésite, fait appel au producteur Daniel Bjarnasson, puis à Alex Somers, compagnon de Jónsi. A l'arrivée pourtant, il ne reste rien de ces difficultés d'écriture et de mise en forme, lesquelles ne transparaissent à aucun moment d'une écoute au contraire très naturelle.
Avec ses couleurs éthérées d'une belle pureté de touches, cette offrande renoue avec la beauté contemplative des premiers disques. Composé de huit pistes, Valtari a quelque chose d'un voyage introspectif que berce une douce mélancolie. Ce qui frappe à son écoute, au-delà des lignes vocales, celles toujours aussi fébriles du vocaliste ou les autres, féminines et vibrantes d'une pale émotion, c'est surtout le travail sur les atmosphères. Celles-ci sont délicatement esquissées par des arrangements feutrés mais d'une richesse admirable, à l'image de la longue respiration éponyme et instrumentale, évoquant la lumière qui scintille sur la mer, à laquelle succède "Fjögur Piano", brise mélancolique elle aussi vierge de ce chant dont la teinte si particulière doit beaucoup à l'islandais et au Volenska, langue inventée par Jónsi lui-même.
Œuvre rêveuse et cotonneuse, le calme intimiste de Valtari n'a d'égal que l'explosion émotionnelle qui affleure la surface limpide de ces pièces d'une simplicité trompeuse. Comme les vibrations de la lumière, il est insaisissable et quand on croit le tenir, il s'échappe... Le quatuor a réussi son retour, agrandissant encore un peu plus le gouffre qui le sépare de ses vains imitateurs. Etonnamment, et en dépit du départ programmé du claviériste Kjartan Sveinsson, un nouvel album, qui s'annonce très différent de Valtari, semble déjà sur le point d'être enregistré. Sigur Rós n'a donc pas fini de nous surprendre et de nous faire rêver...