Curieux comme les Ayatollahs bas du front peinent à admettre qu’un musicien veuille parfois s’éloigner du genre auquel il est rattaché pour aller se ressourcer à ses propres racines souvent bien différentes. Comme autrefois Dan Swanö, par exemple, dont certains n’ont pas pardonné qu’il cherche à épancher sa soif de hard-FM et de progressif, Abbath, en dépit du succès rencontré, s’est mis à dos dès la fin des années 90 ses fans de la première heure qui n’ont pas compris le virage plus heavy qu’entama alors Immortal grâce à At The Heart Of Winter et ses successeurs, avec la réussite que l’on sait.
Ceux-là devront donc aujourd’hui (encore une fois) passer leur chemin (et prendre leur mal en patience ?) car ce side-projet, prénommé I, malgré la présence d’Armagedda, batteur historique d’Immortal et d’une étiquette “ Immortal meets Bathory meets Motörhead ” alléchante, ne les rassurera certainement pas. Cousin (pas si) éloigné de Sons Of Northern Darkness – soit alors le dernier et surtout le plus accessible album forgé par le groupe provisoirement défunt -, Between Two Worlds fait parfois plus que braconner sur les steppes immortelles comme l’attestent les lancinants mid-tempi sur lesquels souffle le vent du Grand Nord que sont les majestueux "Warriors", "Mountains" et "Far Beyond The Quiet", chevauchées épiques dignes effectivement du Bathory viking et triomphant.
Les textes du fidèle Demonaz, homme de l’ombre si essentiel car complémentaire à la musique composée par le chanteur, participe aussi bien évidemment de cette filiation. Mais si certains (rares) titres, parmi les plus agressifs, tels que "Between Two Worlds" et "Battalions", en affichant encore timidement les oripeaux d’un passé extrême désormais révolu, parviennent à raviver la flamme qui éclairait les souterrains obscurs de jadis, à contrario les imparables "The Storm I Ride" et surtout "Shadowed Realms" et son intro enivrante et irrésistible qui donne la force de déplacer des montagnes, irrigués par des flux purement heavy-metal qui ne sont certainement pas pour déplaire à Ice Dale, véritable guitar-hero de metal extrême norvégien (Enslaved, Audrey Horne…), n’auraient même pas pu trouver leur place sur les derniers Immortal.
Entouré d’un groupe solide, qui comprend aussi le mercenaire de la quatre cordes, King (Gorgoroth, Sahg…), Abbath réussit son retour après plusieurs années d’abstinence, quand bien même Between Two Worlds n’évite pas toujours une certaine linéarité qui l’empêche d’être le chef-d’œuvre qu’il aurait pu être. Un très grand disque néanmoins qui, tout en confirmant le talent de compositeur d’Abbath, rend encore un peu plus incertain un retour au pur black-metal furieux et cryptique des débuts d’Immortal. Faut-il le regretter ? Pas sûr…