Lancé sur un rythme de parution frénétique, Erik de Beer et son Life Line Project nous proposent leur contribution annuelle à la musique progressive, constituée une nouvelle fois de titres composés par le maestro durant les 30 dernières années.
Pièce centrale de ce nouvel album, la suite The True Tale Of Duplo The Equivalent s'étale sur les plages 4 à 17 durant près de 60 minutes, dénonçant sous la forme d'une parabole les deux systèmes qui s'affrontèrent naguère dans une guerre froide, opposant l'uniformisation communautaire du communisme à l'individualisation extrême générée par le capitalisme. Au milieu se trouve un juste équilibre que Duplo, personnage mascotte du groupe, finit par atteindre avec sa dulcinée. Musicalement, la tonalité générale reste confinée au progressif symphonique typique des années 70 cher à Erik de Beer, faisant plus que flirter avec la musique classique, aussi bien dans sa structure de composition tant mélodique qu'harmonique, que dans son rendu avec la présence de nombreux instruments de l'orchestre, au premier rang desquels le basson, probablement évocateur du héros de l'histoire, se distingue particulièrement aux côtés d'un quatuor à cordes ou d'autres 'bois'. Comme à son accoutumée, l'artiste s'est refusé à toute aide numérique de quelque sorte que ce soit, réfutant notamment tout overdub en post-production. Les claviers vintage analogiques sont naturellement particulièrement privilégiés, et l'ensemble propose des sonorités très sèches, au son très direct et sans artifice, au risque de tomber quelque fois dans un excès de minimalisme qui pourrait prêter à sourire sur certaines séquences. D'un autre côté, ce manque d'emphase a pour mérite de laisser l'auditeur se concentrer sur la musique seule et là, le moins que l'on puisse dire est que le menu est comme à l'accoutumée plus que copieux.
Thèmes variés aux harmonies complexes, judicieuses alternances entre parties chantées racontant l'histoire sans fioriture et passages instrumentaux au cours desquels les musiciens se lâchent, montrant toute l'étendue de leur talent, les 18 pièces qui composent, jalonnent cette galette remplie à ras bord, garantissent de nombreuses écoutes avant d'en saisir toutes les subtilités. D'autant plus que quelques surprises viennent quelque peu bousculer le style habituel du groupe : aux côtés des désormais traditionnels passages classiques interprétés sans aucun instrument moderne, on trouve notamment un véritable morceau de jazz ambiance piano-bar (The Guy Is Cool) qui vient surprendre l'auditeur, permettant d'apprécier d'autant plus le splendide et très progressif The Same Old Song qui suit. Mais ce sont aussi le morceau titre (20 Years After) et son riff furieux en prélude à la longue suite, et surtout son alter ego situé après celle-ci (One Night In Mantua), adaptation classico-progressive d'une pièce de la Renaissance, elle-même reprise dans l'hymne national israélien et par Smetana dans sa fameuse Moldau, qui viennent bousculer les certitudes de l'auditeur familier de la discographie du groupe.
Tout en conservant ses fondamentaux, Erik de Beer apporte, par petites touches, quelques évolutions d'un album à un autre. Une fois passée l'impression de charme désuet liée aux sonorités volontairement vintage, la musique de Life Line Project et de ce Twenty Years After s'apprécie telle une véritable offrande. L'aspect symphonique y est peut-être moins prononcé que sur les précédentes productions du groupe, mais la musique ici proposée n'en reste pas moins toujours aussi captivante.