Certains groupes sont parfois tellement influencés par leurs prédécesseurs qu'ils en viennent à reproduire plus ou moins consciemment les mêmes schémas musicaux sans arriver à se démarquer de la production moyenne. D'autres, conscients de l'écueil, commettent l'erreur de tellement chercher l'originalité qu'ils en deviennent abscons et ennuyeux ou trop artificiels. Mais quelquefois, certains semblent touchés par la grâce, imposant leur style avec naturel, donnant l'impression, trop rare à l'auditeur averti, de découvrir un nouvel univers musical. The Addiction Dream appartient indubitablement à cette dernière catégorie.
Preuve de sa singularité, il est difficile de ranger sa musique dans une catégorie bien définie. On navigue entre progressif soft, chansons, passages atmosphériques et touches expérimentales, le tout savamment mixé. De même, apparenter The Addiction Dream à un groupe existant n'est pas aisé. Imaginez un mélange de King Crimson ascendant classique, de Coldplay, de Simon Says et de Talk Talk et vous aurez une vague idée du résultat. Encore qu'aucune influence ne ressorte clairement des neuf magnifiques chansons que contient l'album. Il s'agit plus d'impressions fugaces qui s'accrochent au détour d'un accord, laissant une impression rémanente alors que la mélodie vous a déjà emmené vers d'autres horizons.
Tout l'art de The Addiction Dream réside dans cette faculté de transporter l'auditeur sans artifice, sans effet tape-à-l'œil, uniquement par l'intelligence de ses compositions et la qualité de son interprétation. Les musiciens ne jouent pas les showmen avides de démontrer leur virtuosité à grands coups de riffs assassins ou de solos techniques. Il est parfois bien plus difficile d'exécuter des trames qui ne serviront que de fond sonore, que de dégringoler à toute vitesse quelques notes plus impressionnantes que réellement délicates à jouer. Ici, les instruments créent avant tout des textures, des atmosphères en brodant de délicats motifs qui s'enroulent les uns autour des autres. Guitares, claviers et percussions, parfois agrémentés de violon et violoncelle, tissent ainsi leurs toiles arachnéennes, se séparant pour mieux se rejoindre, la clarté de la prise de son évitant de transformer leurs interventions en magma sonore. L'ensemble ne sombre jamais dans la mièvrerie ou l'intimisme intransigeant, sachant alterner tempos langoureux et plus enlevés. Par ailleurs, The Addiction Dream sait jouer sur toute la gamme des nuances, adoucissant ou durcissant à propos ses mélodies. Enfin, des samples (voix, pépiements d'oiseaux, cloches tibétaines, vols d'hélicoptère) sont astucieusement saupoudrés au fil des titres.
Le groupe fait preuve d'une qualité d'écriture remarquable. Les mélodies sont originales, sophistiquées sans être compliquées, simples sans être linéaires. Elles ont un côté instinctif qui les rendent immédiatement intelligibles tout en gardant une part de mystère qui augure du plaisir de futures découvertes. Sobre, raffinée, délicate, la musique évolue sans à-coup grâce à des transitions intelligentes et une cohérence entre les différents thèmes. Enfin, comment passer sous silence l'excellence des vocaux ? Jason O'Neill-Butler a un timbre sensuel, fragile, qui s'élève avec légèreté dans les aigus. Sinueux, intrusif, sensible, le chant résonne de ses échos désenchantés mais sans pathos, sans jamais sur-jouer. Les harmonies qui l'accompagnent sont à sa hauteur, aussi réjouissantes à l'unisson qu'à la tierce ou en contre-chant.
"Essence" est un disque magique, d'une rare finesse, où chaque écoute permet de découvrir de nouveaux détails, ici un contretemps, là un break, un crescendo, un chorus. Les fées de l'inspiration se sont penchées sur le berceau de The Addiction Dream. Sophistication abordable, immédiateté des mélodies, transparence des chants, c'est beau ! Non, c'est magnifique !