En France, nous connaissons Aragon, poète inoubliable dont nous n’oublierons jamais ces vers entêtants de musicalité. En Australie, l'autre Aragon n'a pas connu un destin aussi glorieux. T'en souvient-il de cette étoile filante du progressif ? Là où le poète reste dans les mémoires, le groupe homonyme est tombé dans un pseudo l'oubli : cruelle malchance ou mauvais coup du sort, ces artistes n'ont pas réussi à accéder à la gloire éternelle. Ce groupe, c'est avant tout une histoire de malchance : un label qui ferme boutique, des CD mal ou pas distribués, un long (trop long ?) album concept mal compris et encore mal distribué. Mais "Don't Bring The Rain" est un sommet de ce groupe sous-estimé (mal-aimé). Cet OVNI progressif, tel une étoile filante, a brillé pour se consumer rapidement "(I Rather Burn Out Than To Fade Away"...). Ces musiciens n'ont certainement pas consumé leur potentiel créatif et c'est vraiment dommage !
Il reste néanmoins quelques pépites : beaucoup ont jeté une oreille sur "Mouse" et ses faux airs de "Lamb Lies Down On Broadway". Certains ont détesté: des nappes de synthétiseurs un peu surannées et omniprésentes, une guitare très typée années 70 (crunchy à souhait), par moment, Ô ultime Trahison, une batterie électronique, une voix qui peut être difficile à supporter, parfois criarde, souvent haut perchée. Paradoxalement, c'est là qu'est la force de Aragon : on est déboussolé au début, mais si on persiste, on ressent toute l'émotion transmise. Une voix avec une couleur, un grain, une tessiture (comme se plaisent à le ressasser les musiciens émérites autoproclamés spécialistes es musique durant les télé-crochets insipides).
Aragon, c'est Les Dougan au chant, Tom Behrsing aux claviers et John Poloyannis à la guitare. Aragon, c'est le goût pour une certaine froideur, pour de l'espace dans les compositions, pour un habillage sonore fouillé mais jamais étouffant, pour une batterie programmée par moment, pour de la colère dans le chant rugueux et criard, pour des moments chaleureux et doucereux, pour des phrases de guitare saupoudrées avec parcimonie mais judicieuses (écoutez le final de "The Crucifixion"). De son côté, "The Craddle" est beau à pleurer et vous donnera la chair de poule. C'est une chanson magnifique, peut-être une des meilleures du groupe. A ranger avec "Cold In A Warm Place". Du haut de ses seize minutes, "The Crucifixion" va vous donner envie tantôt de méditer, tantôt de laisser libre court à votre colère, ou goûter l'apaisement et l'espoir. Aragon semble livrer ici un message plus social ou politique : "Stand Below Your Cross / And Watch Your Nation Crucified". Enfin, "The Company Of Wolves" est belle et distille, tout au long de ses deux parties du mystère, des ambiances diverses, inquiétantes ou brumeuses. On aime et on en redemande.
Seul petit bémol, les morceaux plus pop comme "For Your Eyes" ou "Solstice". Même si l'ensemble de l'album sonne pop dans le mixage, un peu à l'image des dernières productions de Genesis, c'est sur les morceaux les plus courts qu'Aragon semble être le moins à son aise : refrains et mélodies un brin prévisibles. Aragon est donc un OVNI disparu, oublié, mésestimé. Votre mission, si vous l'acceptez, sera de réparer cette injustice au plus vite. Rien que pour l'écoute de "The Crucifixion", il incombe à tout amateur de musique progressive de posséder cet album.