Premier album de Kamelot depuis le départ de son emblématique frontman Roy Khan, "Silverthorn" était attendu avec suspicion, voire inquiétude, tant le groupe semblait marqué par l'empreinte vocale de son chanteur. Tommy Kaverick, son remplaçant longtemps recherché, focalisait donc toutes les attentions. Ce scandinave, vocaliste du groupe de Métal Progressif Seventh Wonder, auteur d'un superbe "Mercy Falls" en 2008 (très proche du chef d'œuvre de Dream Theater "Scenes From A Memory") devait donc être dans ses petits souliers tellement le challenge paraissait difficile à relever. Cette attente circonspecte de la part des fans était en outre renforcée par une déception, celle d'un dernier album peu apprécié, le très controversé "Poetry For The Poisoned".
Dixième opus studio de la bande à Thomas Youngblood, telle qu'il est possible maintenant de la nommer puisqu'il est le seul survivant des débuts du combo qui vient de fêter ses deux décennies d'existence, "Silverthorn" peut s'inscrire entre les inspirations d'un "Fourth Legacy" et celles d'un "Black Halo", ce qui est déjà une première bonne nouvelle tant ces deux albums peuvent être vraisemblablement considérés comme les meilleures productions de Kamelot. En substance, on retrouve ici les belles envolées mélodiques d'antan porteuses de l'emphase qui a fait le succès du groupe, les chants féminins habilement distillées (à une exception près mais nous y reviendrons), des ambiances sombres et inquiétantes sans être prétentieuses, une approche orchestralo-symphonique des propos réussie, des chœurs soyeux et quelques parties speed de bon aloi.
La seconde bonne nouvelle vient de la voix de Kaverick qui, bien qu'on ne soit pas loin du mimétisme au vu de son étrange ressemblance, pas seulement physique, avec celle de Khan, est tout bonnement impeccable. Cristalline, émouvante et remplie d'emphase, elle sait mettre en images les histoires qui nous sont contées dans ce concept album qui nous transporte dans l'Angleterre victorienne du XIXème siècle auprès d'une dénommée Jolee qui meurt enfant dans les bras de ses deux frères jumeaux et qui revient hanter ses proches à l’âge adulte. La gente dame apparaissant sur le superbe artwork de l'opus, c'est elle.
Puisque nous évoquons les voix, notons que Simone Simons (Epica) et Shagrath (Dimmu Borgir) ont déserté le navire et que leurs remplaçantes se nomment Elize Ryd (Amaranthe, groupe de Métal Moderne) et Alissa White-Gluz (The Agonist, groupe de Death Métal Mélodique) pour le chant extrême. Concernant cette dernière, il était précédemment question de revenir sur le point noir en termes de chant féminin, hé bien nous y sommes. La dame n'intervient qu'une seule fois (sur le titre "Sacrimony (Angel of Afterlife)") et ce de manière complètement incongru. Il n'est point question ici de critiquer ses qualités de vocaliste (bien qu'on puisse se demander en quoi ce genre de borborygmes gutturaux s'apparentent à un chant), mais de l'intervention elle-même qui tombe comme une perruque dans la soupière. Les chœurs, quant à eux, sont assurés par le groupe allemand féminin Eklipse (quatre jolies jeunes filles connues pour reprendre le concept d'Apocalyptica), auxquelles viennent s'ajouter Thomas Rettke et Robert Hunnecke-Rizzo (Heaven's Gate), Simon Oberender (claviériste de Beyond The Bridge, récemment décédé) et les habituels Sascha Paeth (qui produit l'album), Michael Rodenberg (keybordiste de sessions chez Angra entre autres), et Amanda Somerville qu'on ne présente plus. Voilà, vous savez tout sur les cordes vocales à l'ouvrage sur cet opus.
Passons au décorticage de l'album. L'intro qui ne sert à rien est de rigueur sur ce concept-album, "Manus Dei" n'est là que pour annoncer un thème que l'on retrouvera au gré de l'opus et permettre à la chorale des chœurs de s'échauffer. Les choses sérieuses commencent avec le "Sacrimony (Angel of Afterlife)" avec son ambiance sombre et posée sur les couplets, un refrain lumineux rehaussé par les chœurs féminins et masculins entremêlés, des soli furieux de six-cordes et de claviers et une conclusion façon boîte à musique. Tout y est pour un nouveau classique. Kamelot est de retour visiblement.
"Ashes To Ashes" à sa suite a moins d'impact mélodique et tire plus vers le progressif, le solo de claviers nous ramènant d'ailleurs vers les sons qu'un Jordan Rudess (Dream Thater) peut sortir de son instrument. Les pendules sont remises à l'heure avec le galvanisant "Torn" où l'on retrouve les ambiances orientales chères au groupe et où l'on peut se rendre compte que Casey Grillo a oublié d'être manchot et qu'il a peut être été jusqu'à présent un batteur de Métal sous-évalué. C'est alors que survient la ballade de l'album, fort charmante mais tout de même moins frissonnante que l'exceptionnel "A Sailorman's Hymn" sur "The Fourth Legacy", malgré son joli piano et son passage orchestral.
"Veritas" à sa suite est un tantinet lourdingue et, malgré un démarrage enlevé, une utilisation calibrée de la chorale, la pause tendresse offerte par Elize et le break aux ambiances folklore celtique, le refrain déçoit, quelque peu brouillon, il nous ramène vers Therion. "My Confession" arrive à la rescousse. Ici, le refrain est réussi, le break à deux voix magnifique et le solo derrière exemplaire.
"Silverthorn", le titre éponyme vaut surtout par la chorale version voix d'enfants en son milieu et son solo atomique. Pour le reste, on pense à Nightwish sur le refrain et Within Temptation pour les riffs grandiloquents mais on se dit que Kamelot s'endort ici un peu sur ses lauriers. "Falling Like The Fahreinheit" est par contre, quant à lui, magnifique. Les mélodies sont belles à tomber et la voix d'Elize est ici parfaitement exploitée. "Solitaire" accélère le rythme de belle façon. Une fois de plus les mélodies sont fort réussies et les galopades rythmiques sont un vrai plaisir auditif au même titre que les interventions en solo de la six-cordes qu'elles soient calmes ou speed. Voilà l'hymne de l'album.
Le titre le plus long de l'opus, "Prodigal Son" et ses quasi dix minutes au compteur, débute par une marche funèbre pour virer à la ballade. Celle-ci nous fait furieusement penser au titre "Through Her Eyes" de Dream Theater sur l'album cité précédemment, le côté épique, qui se développe au fur et à mesure de l'avancée du morceau en plus. Pièce à tiroir Power Symphonique comme savait en proposer par le passé le groupe, ce final est une parfaite réussite. Enfin, final pas tout à fait puisque c'est à "Continuum", une outro remplie de chœurs et de légères touches de piano, à qui revient l'honneur de clore cet opus de fort bonne constitution.
Un retour très appréciable donc que ce "Silverthorn" avec lequel Kamelot peut espérer revenir sur le devant de la scène, ce qui n'était pas gagné d'avance après le trou d'air généré par "Poetry For The Poisoned" et le départ de Khan. Les deux obstacles ont été franchis haut les glaives. Voilà une des bonnes nouvelles de cet automne musical.