Ce qu'il y a de fascinant avec Enslaved, c'est sa capacité à évoluer, à progresser, à franchir des paliers par petites touches sans jamais renier ses racines Black-Metal. Même un album tel que Monumension (2001), dont beaucoup en font une œuvre charnière dans sa désormais longue carrière, avait été préparé par Mardraum : Beyond The Within qui, un an auparavant, annonçait, certes encore timidement, l'évolution à venir. De fait, plutôt que de rupture, mieux vaut parler de glissement vers une musique plus progressive, moins furieuse mais toujours aussi belle et intelligente. Car les Norvégiens peuvent se targuer de n'avoir jamais enfanté de mauvais disques, même si Blodhemn en 1998 témoignait que ses géniteurs avaient tout dit dans le registre Black-Viking de leurs débuts.
Du coup, affirmer que RIITIIR est réussi et qu'il continue de creuser le sillon évolutif entamé depuis dix ans, tient, comme à chaque fois, de l'évidence. A chaque nouvelle offrande, la conclusion est la même. Pour autant, bien que reposant sur un socle massif historique et immuable, construit sur le chant hargneux et la basse de Grutle Kjellson et la guitare rugueuse de Ivar Bjornsson, les albums d'Enslaved ne se ressemblent jamais vraiment, le groupe parvenant à chaque fois à se renouveler, à transcender son art. Gageons que la stabilité de son line-up depuis Isa en 2004, n'est pas étranger à cette qualité. Le tandem originel a trouvé les musiciens capables de l'aider à aller au bout d'une inspiration que l'on devine sans limite.
Moins progressif et floydien que Axioma Ethica Odini Eta affichant fièrement son concept runique, RIITIIR paraît, de prime abord, marquer un léger retour en arrière, quelque part entre Below The Lights, Isa et Vertebrae. Telle est du moins l'impression qui s'impose à l'écoute de "Veilburner" ou du titre éponyme.
"Thoughts Like Hammers" et "Roots Of The Mountain", compositions épiques où le substrat Black-Metal est en fait fissuré par des envolées de chant clair, celui de plus en plus brillant et maîtrisé de Herbrand Larsen, et des guitares qui s'élèvent très haut, infirment toutefois ce raccourci que balaye par la suite la dernière partie de l'opus qui, à partir de "Materal", largue plus encore les amarres de l'art noir dont il reste néanmoins toujours quelques vestiges. La longue et vertigineuse entame de "Storm Of Memories", et surtout le périple terminal "Forsaken" avec son introduction au piano, son pont central façon "Kosmische Muzik", et ses dernières mesures posées et contemplatives, arborent le visage le plus progressif des Norvégiens qui poursuivent leur évolution et leur œuvre foisonnante.
Après les EP The Sleeping Gods puis Thorn, RIITIIR illustre l'impressionnante santé d'une formation, sinon à son apogée, au moins en pleine possession de ses moyens. Plus que jamais unique et au-delà des modes, Enslaved continue son chemin, seul et visionnaire.