De Zatokrev à Impure Wilhelmina, le Post Hardcore suisse est devenu une véritable AOC en l'espace de quelques années. Fondé en 2007 à Lausanne, When Icarus Falls est l'un des derniers rejetons de cette chapelle, certes toujours digne d'intérêt, mais désormais souvent vierge de la moindre petite trace d'originalité.
Pour être honnête avec vous, nous n'attendions de fait pas forcément grand-chose de Aegean, premier Golgotha longue durée de cette jeune pousse, préjugé confirmé par "Step Further", ouverture douloureuse alignant telles des pinces à linge sur un fil, tous les invariants que traîne le genre (chant hurlé qui dégueule, tempo miné par une lourdeur de plomb...). Bien fait donc, mais ni pire ni meilleure que bien d'autres saignées entre Post-Rock déchirant et Hardcore vicié.
Pourtant, certains indices auraient dû nous alerter tout de suite. Le nom des pistes sonnant comme autant de référence à la mythologie grecque (dédale, Euménides), le concept emprunté aux travaux du psychiatre Elisabeth Kübler-Ross qui a défini les cinq étapes de la mort (le déni, la colère, le marchandage, la dépression et enfin l'acceptation) et le désespoir infini que sécrètent ces guitares prisonnières d'une gangue rocailleuse, témoignent ainsi que Aegean et par conséquent, When Icarus Falls, méritent mieux, beaucoup mieux même, que le tout-venant auquel nous aurions été tenté de les raccrocher.
Dense et irrigué par des riffs creusant de profondes dépressions ("Acheron/Eumenides"), l'album a quelque chose d'un bloc de matière brute, indivisible et vibrant d'une tension sourde. "Aegean", bâti sur des guitares aux allures de câbles de tristesse, ou" Tears Of Daedalus", charriant une noirceur orchestrale, reposent sur une dramaturgie intense qui prend aux tripes et vous hante encore longtemps après que l'immersion dans leurs arcanes se soit achevée.
Bien sûr, prétendre que le groupe réinvente le Post Hardcore serait exagéré. Cependant, une telle beauté poisseuse et désespérée suinte de ses veines lui permettant de réussir au final, là où bien d'autres, forant le même terreau pétrifié, échouent. De là à dire que les Suisses sauront s'extraire de la masse, il n'y a qu'un pas que nous ne franchirons pas encore. Ils le méritent pourtant...